Le dialogue national en vue d'élections "libres et démocratiques", promis au Tchad dans les 18 mois au lendemain de la mort d'Idriss Déby Itno en 2021, prend encore du retard, repoussé jeudi de trois mois par la junte militaire.
Tchad : report du dialogue national pour des "élections démocratiques"
Initialement annoncé avec beaucoup de retard déjà pour le 15 février, "le Dialogue national inclusif est reporté au 10 mai 2022", écrit la Présidence de la République sur sa page Facebook.
Le "pré-dialogue" avec les nombreux groupes rebelles armés qui attaquaient régulièrement le régime autoritaire du président Déby, a également été repoussée au 27 février à Doha, au Qatar, au lieu de fin janvier. Il est une condition "préalable" au futur forum censé mener à une nouvelle Constitution et des scrutins présidentiel et législatifs.
Le Premier ministre civil nommé par les militaires, Albert Pahimi Padacké, a précisé les raisons du report à mai: "constatant la dispersion dans le monde" des chefs rebelles, "les questions logistiques - beaucoup n'ont pas de document de voyage" -, (...) le Qatar a proposé de les réunir à Doha à partir du 27 février".
Le maréchal Idriss Déby Itno, qui dirigeait d'une main de fer le Tchad depuis 30 ans, a été tué au front par des rebelles le 19 avril 2021.
-Transition de 18 mois-
L'un de ses fils, le jeune général Mahamat Idriss Déby Itno, avait pris dès le lendemain le pouvoir à la tête d'une junte militaire en promettant un Dialogue national inclusif pour des élections "libres et démocratiques" sous 18 mois, renouvelables une fois.
Il avait été nommé aussitôt président du Conseil Militaire de Transition (CMT), un exécutif composé de 15 généraux, et président de la République de transition.
La junte avait également abrogé la Constitution, dissout le Parlement et limogé le gouvernement pour nommer des mois plus tard les membres de ces institutions devenues "provisoires".
Dès les premiers jours, le nouvel homme fort avait été adoubé par la communauté internationale, France, Union européenne et Union africaine en tête, son armée étant l'un des piliers de la guerre contre les jihadistes dans le Sahel au côté de Paris.
Toutefois, la France, l'UE et l'UA avaient demandé que le délai de 18 mois ne soit pas dépassé pour des élections qui devaient donc se tenir à l'automne 2022.
-Gestes d'ouverture-
Le président "provisoire" a multiplié les gestes d'ouverture en direction des rebelles qu'il a tous invités au dialogue, y compris le Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad (FACT) qui a tué son père selon N'Djamena.
Et il laisse ponctuellement l'opposition politique et la société civile organiser des marches et des meetings, quand feu le Maréchal Déby les interdisait et les faisait systématiquement réprimer.
Ce report du Dialogue ne semble pas augurer une tenue des élections dans ce délai et donc un retour promis du pouvoir dans les mains des civils. Les experts le pressentaient déjà bien avant.
"Tout le monde doutait d'une transition de 18 mois. L'actualité au Sahel --les coups d'Etat-- a donné une bouffée d'air supplémentaire à tous ceux qui voulaient une extension. Le report est donc la justification officielle", analyse Roland Marchal, spécialiste notamment de l'Afrique centrale au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris.
Car le général de 38 ans avait laissé entendre en juin qu'une prolongation de 18 mois était envisageable si les Tchadiens ne parvenaient pas à "s'entendre" .
Depuis, le pré-dialogue avec les rebelles -les "politico-militaires" comme tous les Tchadiens les appellent--, se fait désirer notamment parce que les innombrables groupes armés ne parviennent pas à s'entendre sur une position commune pour discuter avec la junte.
"Nous ne sommes pas contre cette date, mais il faut au préalable une commission tripartite gouvernement, politico-militaire et Qatar pour bien préparer les assises. Il ne sert à rien de fabriquer des politico-militaires pour venir remplir la salle", analyse au téléphone Timan Erdimi, l'un des pires ennemis de feu Idriss Déby, à la tête de la puissante Union des Forces de la Résistance (UFR).
"Nous ne voyons pas d’inconvénient à ce report, cela nous donne le temps de travailler sur nos revendications pour mieux aborder les choses", renchérit Mahamat Assileck Halata, vice-président de l'Union des Forces pour la Démocratie et le Développement (UFDD), une autre importante coalition rebelle.
Rien de tout cela pour la jeune figure de proue de l'opposition politique, Succès Masra, qui redoute une tentative de perpétuer le pouvoir des militaires: "Nous ne sommes pas étonnés car avions alerté sur le fait que la junte perdait du temps pour retarder les choses et que cela allait avoir de répercussions sur les 18 mois", assène le président du parti les Transformateurs.