Dans la banlieue de Conakry, le fait communautaire comme constante de la présidentielle
Guinée : scrutin présidentiel et fait communautaire
A Wanindara, banlieue poussiéreuse de Conakry, pas facile de trouver quelqu'un pour dire qu'il votera pour le président sortant. Difficile aussi d'échapper aux griefs d'une population qui se dit maltraitée parce que d'un groupe ethnique autre que la majorité de la classe dirigeante. Wanindara, fief de l'opposition au président Alpha Condé, a été pendant un an l'un des foyers de la contestation contre un éventuel troisième mandat du chef de l'Etat.
Si l'issue de la présidentielle dont le premier tour a lieu dimanche est aussi incertaine que l'acceptation future des résultats par tous les camps, la victoire du principal challenger de M. Condé, Cellou Dalein Diallo, ne fait guère de doute pour les habitants de Wanindara interrogés par l'AFP.
Beaucoup appartiennent à son parti, l'Union des forces démocratiques de Guinée, et à un collectif qui a mobilisé pendant des mois contre M. Condé. " On ne votera pas pour lui (M. Diallo) parce qu'il est Peul et que la majorité de Wanindara est Peul, mais parce qu'on veut quelqu'un qui réconcilie le peuple de Guinée ", assure Abdourahmane Bah, 24 ans, au fond du kiosque étouffant de tôle orange où il vend des cartes de crédit téléphoniques.
Les Peul représenteraient avec les Malinké plus de la moitié d'une population guinéenne de douze millions. Alpha Condé est Malinké.
Le facteur communautaire a joué un rôle dans toutes les élections, depuis la présidentielle qui a porté M. Condé au pouvoir en 2010 après des décennies de régimes autoritaires, conviennent les experts. Avec l'instauration du multipartisme, les partis ont largement reproduit les appartenances communautaires, l'UFDG avec les Peul, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) avec les Malinké.
A la présidentielle de 2015, qui a reconduit M. Condé, ce dernier et M. Diallo "remportent au moins trois quarts des voix dans la région où leur communauté ethnique domine", rappelle Vincent Foucher, chercheur au centre français le CNRS.
Pour autant, le vote communautaire n'est pas un "déterminant exclusif", prévient-il. "Comme aucune communauté ne peut espérer la majorité absolue, il faut faire attention à bien montrer qu'on n'est pas +ethno+. Donc les candidats les plus sérieux prennent soin de s'allier à des politiciens ou à des représentants d'autres communautés", explique-t-il.
- Une société non-polarisée -
La présidentielle de 2020 se tient dans un climat de tensions après des mois de contestation contre un éventuel nouveau mandat de M. Condé.
Wanindara, entre autres, a été le théâtre de heurts entre lanceurs de pierres et forces de l'ordre le long de la vaste route Le Prince, rebaptisée "axe de la démocratie" par les anti-Condé, "axe du mal" par ses partisans.
Des dizaines de civils ont été tués à travers le pays.
La répression a été rigoureuse à Wanindara en raison d'un sentiment anti-Peul, estime Souleymane Barry, 40 ans, qui tient une boutique le long de la route Le Prince parmi les quincailleries, les "alimentation générale" et des restaurants comme "la Main délicieuse" devant lesquels fument dans des bassines en fer blanc des braises dégageant à l'heure de midi une odeur partout présente.
M. Barry reçoit des Malinké dans son magasin et exprime une conviction répandue: "Il y a pas de problème entre les Peul et les Malinké, c'est le pouvoir qui instrumentalise" les différences, ce que ce dernier réfute constamment.
Le ministre de l'Intérieur Albert Damantang Camara, dans un entretien avec l'AFP, dément tout usage excessif de la force. Il invoque la responsabilité de l'Etat de maintenir l'ordre pour tous et affirme que ce sont d'autres qui ont intérêt à la violence.
M. Foucher assure que la société n'est pas polarisée, en dehors de certaines zones de tensions. Mais le climat électoral favorise des excès, dit-il.
- "Fake news" -
La communauté internationale s'est alarmée de propos tenus pendant la campagne, dont certains prêtés à M. Condé, qui aurait prévenu les électeurs en septembre en malinké contre la tentation d'apporter leurs suffrages à un autre candidat issu de cette communauté.
Des représentants de l'ONU et de grandes organisations africaines en visite préélectorale ont mis en garde contre les "discours de haine à relent ethnique".
" Je n'ai jamais tenu de discours ethnique pour la simple raison que je suis un panafricaniste", s'est récrié M. Condé sur Radio France Internationale et France 24. "Je suis Malinké, je parle dix fois mieux soussou (autre ethnie) que malinké".
Il s'est longtemps battu avec des Peul contre l'ancien autocrate Sékou Touré, qui était Malinké, a-t-il rappelé.
" La Guinée est classée au 4ème rang du monde (pour) les fake news ", a-t-il souri.