Cette semaine Inspire Middle East part à la découverte de la communauté littéraire irakienne en pleine renaissance, alors que le pays se relève doucement de la guerre. Notre équipe s’est aussi entretenue avec Sir Ranulph Fiennes, surnommé “le plus grand explorateur vivant”.
Entretien avec Sir Ranulph Fiennes, "le plus grand explorateur vivant"
Selon un dicton arabe : “Le Caire écrit, Beyrouth imprime et Bagdad lit”. Depuis des siècles, la rue Al-Mutanabbi de la capitale irakienne est le cœur battant de la communauté littéraire du pays. Baptisée d’après un poète irakien du Xe siècle, la rue est bordée de librairies, de maisons d‘édition et d‘étals de livres.
Datant de l’Empire ottoman, l’histoire de ce lieu est tout aussi captivante que n’importe quel roman. La rue a survécu à des années de guerre, de censure et de dictature. Elle s’est aussi remise d’un attentat terroriste en 2007 qui a fait une trentaine de morts et des centaines de blessés.
Le vendredi est le jour le plus chargé ici. Des intellectuels et des écrivains affluent de tout le pays pour découvrir de nouveaux manuscrits et discuter de leur travail. Le poète Sa’eed Al-Rodhan vient ici depuis sa jeunesse. “En tant que féru de culture, j’ai fréquenté cette rue dans les années 70, pour la première fois. Et maintenant, je publie mes livres dans cette rue. On peut dire que c’est la veine de la culture irakienne”, explique-t-il.
Al-Nujaifi à Mossoul : de la destruction à la reconquête
Adham Adul est poète, et il tient une boutique à Al Mutanabbi. Passionné de politique et de justice sociale, il a publié cinq livres sur ces thèmes. Ses mots lui ont valu de passer 3 mois en prison, mais l‘écrivain ne se décourage pas. “Il y a une vieille expression qui dit que pour être poète, il suffit d‘être un homme irakien. J’ai découvert que la poésie pouvait vraiment changer les gens, leur esprit, leurs pensées, leurs idéologies. Parce que nous sommes des humains. Malgré toute la violence, nous avons de la bonté dans notre cœur et nous sommes pacifiques”, raconte le poète.
Comme de nombreux écrivains, Adham Adul pense que l’amour de la littérature est profondément ancré dans la société irakienne.
Deuxième ville du pays, Mossoul se trouve au carrefour d’anciennes routes commerciales. Pendant des siècles, la rue Al-Nujaifi a compté de très nombreuses librairies et bibliothèques. Mais lorsque l’autoproclamé groupe Etat Islamique est entré dans la ville à l‘été 2014, ses terroristes ont méthodiquement détruit les librairies, et brûlé les livres
D’aussi loin qu’Oussama Abdulrahman Al-Krikchy se souvienne, sa famille a toujours tenu une librairie ici. “La rue était sûre et c‘était le cœur de la ville. Elle était toujours bondée, du matin au soir. Puis, quand la guerre a commencé et que Daesh est arrivé, lentement, nous avons fait face à de nombreux problèmes. Les gens ont commencé à moins se parler, donc c’est devenu plus calme. Il y a eu l’instabilité, l’inconfort, toutes ces choses”, témoigne le libraire.
Lors de la bataille pour reprendre la ville à l’organisation terroriste, la rue Al-Nujaifi a été complètement détruite. Il a fallu plus d’un an à Oussama pour reconstruire son magasin et le rouvrir.
Les livres comme échappatoire pendant la guerre
Quatre mois seulement après la libération de Mossoul, Fahad Al-Gburi a, lui, ouvert le “Book Forum”, un café culturel dans l’est de Mossoul. L’ingénieur estimait que la seule façon pour les habitants de guérir des traumatismes de la guerre était de reconstruire la culture de la ville. Aujourd’hui, les Irakiens se réunissent pour débattre ouvertement de littérature, de musique et de politique – des choses autrefois interdites. Le café accueille également un club d‘écrivains féminins.
Pendant l’occupation de Daesh, les livres étaient de véritables sanctuaires pour ces jeunes femmes. La littérature n‘étant plus en vente, une bibliothèque secrète de livres électroniques a vu le jour et des clés USB remplies d’ouvrages ont fait leur apparition sur le marché noir.
“Du temps de Daesh, on craignait de mourir à tout moment. C’est pourquoi j’ai décidé de m‘échapper, et donc j’ai voyagé à travers les livres, la lecture ou l‘écriture, raconte Aya Abduljabbar, une membre du club d‘écriture.. Nous passions presque toute notre journée à cela, au point de créer un deuxième monde, sans internet ni télévision. Je ne me souciais pas de savoir s’ils étaient disponibles ou non. Je ne me souciais plus de la guerre, et j’ai cessé d’en avoir peur, grâce à la lecture et l‘écriture. S’immerger dans des livres, : c’est incroyable”.
Rassemblés par leur passion des mots, ces auteurs en herbe estiment que la paix de leur ville passera par l’alphabétisation. Alors que les Irakiens tournent la page des temps troublés, un nouveau chapitre s‘écrit, rempli d’espoir et de culture.
Sir Ranulph Fiennes, un explorateur exceptionnel
Il a conquis les plus hautes montagnes du monde, les océans les plus froids et les déserts les plus inhospitaliers… Né en Angleterre en 1944, Sir Ranulph Fiennes est devenu le plus jeune capitaine de l’armée britannique. Il est également le seul homme vivant à avoir fait le tour du monde le long de son axe polaire. Et aux côtés de son compatriote Charles Burton, il est le premier à avoir atteint les deux pôles, et à avoir traversé les océans Antarctique et Arctique.
Il a également escaladé la face nord de l’Eiger, dans les Alpes, et il est le Britannique le plus âgé à avoir jamais conquis l’Everest. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, il a dirigé la première expédition d’aéroglisseurs sur le Nil, ainsi que l‘équipe qui a découvert la “ville perdue d’Ubar” en 1992.
Sa force physique et mentale lui a permis de traverser les moments les plus difficiles, notamment en 2000, lorsqu’il a subi de graves engelures à la main gauche et qu’il s’est coupé lui-même le bout des doigts, pour stopper la douleur.
Sir Ranulph compte des légions de fans à travers le monde, qui ont dévoré la vingtaine de livres qu’il a publié sur ses expéditions. Lors de son retour dans la région du Golfe, nous l’avons rencontré pour parler de sa philosophie de vie et de ses célèbres aventures.
Rebecca McLaughlin-Eastham, Euronews : Sir Ranulph, bienvenue dans Inspire Middle East. Cela fait plusieurs décennies maintenant que vous avez visité pour la première fois le Moyen-Orient, notamment les Émirats Arabes Unis et bien sûr Oman. Parlez-moi de ce qui vous a marqué à l‘époque.
Sir Ranulph Fiennes : C‘était une situation de guerre, car à cette époque les Britanniques avaient quitté ce qu’on appelait l’Aiden, le Yémen en gros, et les puissances soviétiques tentaient de faire du Oman un pays marxiste, plutôt qu’islamique. Les Omanais avaient un traité avec les Britanniques depuis très longtemps, et mon patron, le Sultan d’Oman, père de Qabus ibn Saïd, a demandé de l’aide. Alors les Britanniques ont envoyé certains volontaires. On combattait des Yéménites formés en Union soviétique, dont beaucoup avaient grandi dans ces montagnes. Et donc nous étions largement en infériorité numérique, car ils étaient deux ou trois mille dans les montagnes en 1968 et 69. J’aimais bien le Sultan, le père de Qabus, j’allais le voir des semaines durant pour recevoir ses ordres. On devait tendre des embuscades dans les montagnes, tenues par les ennemis. On pouvait voir tous les soldats en bas avec leurs fusils qui brillaient. On était à 30 miles du territoire ennemi, c‘était très effrayant.
Votre découverte de la “Cité perdue” a été un moment charnière après huit expéditions et 25 ans de recherches. Parlez-moi de cette période.
Sir Ranulph Fiennes : Nous étions très reconnaissants. J’avais eu un entretien avec le sultan Qabus quand nous l’avons trouvé et lui aussi était très heureux que ce soit du côté omanais et non du côté saoudien de la frontière. Mais cela nous a pris beaucoup, beaucoup de temps. Nous nous sommes accrochés et nous sommes très fiers de cette découverte. En 25 ans, nous avons fait huit expéditions en Land Rover dans le désert, nous sommes allés jusqu‘à 320 miles après Shisr, qui est la dernière poche d’eau du nord.
Vous avez passé beaucoup de temps à explorer et à travailler dans des environnements désertiques difficiles, avec des températures extrêmes. Comment rester concentré et fort dans des environnements si hostiles ?
Sir Ranulph Fiennes : Il faut choisir ses coéquipiers avec attention, pour ne pas avoir de maillon faible. Quand tout va mal, lorsqu’ils ont des engelures, des membres gangrenés, qu’ils pensent qu’ils doivent être amputés. Quand leurs dents tombent car ils ont mangé du chocolat gelé, alors ils ont cette voix dans leur tête qui leur dit : “Je dois arrêter, je dois arrêter”. Je ne veux pas être impoli, mais nous recherchons des gens qui ne sont pas trop intelligents. Et nous devons nous assurer qu’aucun d’entre eux n’a échoué au test de motivation.
Parlez-moi de votre motivation. Qu’est-ce qui vous pousse à participer à ces expéditions ?
Sir Ranulph Fiennes : Ne pas céder à la voix faible dans ma tête, c’est imaginer les deux personnes que je respecte le plus, mon père et mon grand-père. Je ne les ai jamais rencontrés, mais on m’en a beaucoup parlé. Mon père a été tué avant que je sois né. Donc j’imagine qu’ils me regardent, mon grand-père et mon père, et je ne veux pas leur faire honte en étant le premier à abandonner. C’est pourquoi, à la fin de la journée, quand vous aller dans votre tente, vous regardez les autres en espérant qu’ils se sont blessés et que ce sont eux qui abandonneront les premiers.
Que diriez-vous, si vous en aviez l’occasion aujourd’hui, à ces pionniers qui vous ont précédés : Les Shackletons, les Scotts, les Ibn Batuttas ?
Sir Ranulph Fiennes : Je dirais qu’ils étaient beaucoup plus courageux que nous, parce qu‘à l‘époque, ils se trouvaient certainement plus souvent dans des situations où, si tout allait mal, ils ne pouvaient pas être secourus. Alors que pour nous, ce n‘était le cas que dans 20 % des situations.