Aux régimes africains se dresse depuis quelques années maintenant une horde d’activistes basé dans des pays étrangers et dont le rôle se définit avec ambiguïté. Acteurs de la société civile ? Partisans de formations politiques de l’opposition ? Si certains nient toute appartenance à un quelconque parti politique, d’autres par contre le revendiquent, et parfois avec véhémence.
Activistes de la diaspora : une opposition tonitruante aux pouvoirs africains en place
Le Cameroun et la France à deux pas d’un incident diplomatique d’ampleur dont le lit n’est autre qu’un échange entre le chef de l’Etat français et un immigré camerounais qui se présente comme un « activiste ». C‘était le samedi 22 février alors qu’Emmanuel Macron visitait le Salon de l’agriculture organisé dans son pays.
Interpellé par le dénommé « Calibri Calibro », le président français acquiesce les déclarations du militant qui estime qu’il y a « un génocide » au Cameroun et de graves violations des droits de l’homme. Emmanuel Macron se prévaut par ailleurs d’avoir mis une pression sur son homologue camerounais Paul Biya pour qu’il libère de prison l’opposant Maurice Kamto qui avait été condamné pour « insurrection ». Le locataire de l’Elysée assure qu’il fera usage de la même pression pour obtenir la libération de « prisonniers politiques » et faire cesser les violences dans les régions anglophones du Cameroun.
Des déclarations qui ont suscité un tollé général au Cameroun où la vidéo de l‘échange est devenue virale. Car outre la sortie du président français qui est considérée par la majorité comme un monument en termes de violation des règles diplomatiques, c’est aussi l’interlocuteur à qui il donne la réplique qui irrite. Ce dernier n’est autre qu’un membre actif de la Brigade Anti-Sadinards, un groupe d’activistes qui s’est constitué au sortir de la présidentielle d’octobre 2018 au Cameroun et qui se revendique proche de l’opposant Maurice Kamto.
Sous le sceau de l’immunité
Ces activistes sont d’autant plus controversés qu’il leur est imputé de nombreuses dérives. Ils sont notamment accusés d’agressions physiques contre des personnes réputées proches du pouvoir de Yaoundé comme cela a été le cas il y a peu avec un journaliste qui affiche son soutien au président Paul Biya. C‘était en pleine journée, dans une rue parisienne, à visage découvert, et jusque-là aucun de ces agresseurs n’a été inquiété par la justice française. À leur compte également le saccage de l’ambassade camerounaise en France le 26 janvier 2019, où des symboles de la République camerounaise ont été souillés. La police française avait cette fois procédé à des centaines d’interpellations.
Des événements qui viennent souligner le virage violent négocié par le mouvement pourtant initialement porté vers le boycott en France d’artistes musiciens assimilés au régime camerounais. Un modèle inspiré par un autre groupe d’activistes, « Les Combattants congolais » fondé en Grande-Bretagne en 2006. Ils avaient eux juré la perte de Joseph Kabila et sont désormais engagés pour une nouvelle République, autre que celle incarnée par Félix Tshisekedi.
Partisans du candidat à la présidentielle de décembre 2019 Martin Fayulu pour les uns, et simples activistes pour d’autres, ils multiplient les opérations coup de poing pour faire entendre leur voix sur ce qu’ils qualifient de mauvaise gouvernance en République démocratique du Congo. L’un de leurs coups d‘éclat des plus mémorables est d’avoir réussi à faire annuler le concert du chanteur de rumba Héritier Watanabe le 15 juillet 2017 à l’Olympia, à Paris. Le préfet de Paris avait alors dû interdire le concert face aux manifestations bruyantes devant la salle de concert parisienne.
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Une alternative à une opposition amorphe ?
A plusieurs milliers de kilomètres de leurs pays d’origine – généralement accusés de brimer les droits de l’homme – , ces activistes disent ainsi jouer sur la liberté d’expression que leur garantiraient les « pays de droit » qui les hébergent. Depuis Barcelone, la capitale espagnole, où il réside, Mohamed Ali avait par exemple réussi à révolter la rue égyptienne dans le courant du mois de septembre 2019. Cet homme d’affaires qui a longtemps fait partie des privilégiés du régime égyptien avait déclenché de vives manifestations dans les rues du Caire, les premières d’envergure depuis l’arrivée du régime d’Abdel Fattah Al-Sissi.
Sur les réseaux sociaux, celui qui est également acteur à temps partiel, avait dénoncé avec véhémence la corruption galopante dans le pays et la répression féroce contre les opposants au régime. Des déclarations qui avaient même réussi à faire réagir le président égyptien qui a nié en bloc les accusations de corruption et de détournement.
Au Gabon, au Nigeria ou encore en Ethiopie, les activistes de la diaspora demeurent une épine dans les pieds des dirigeants africains, notamment avec l’expansion des réseaux sociaux qui favorisent une diffusion large de leurs messages. Volontairement ou non, ils viennent surtout en appui à une opposition traditionnelle qui semble perdre ses repères sur un terrain de jeu largement contrôlé par les régimes en place. Toutefois, pour bien d’analystes, ces activistes de la diaspora africaine incarnent davantage un lobby pour les politiques occidentales soucieuses de mettre la pression sur des régimes en place.
Lors de son intervention controversée de samedi, le président français Emmanuel Macron a admis qu’il était prêt à travailler avec les « sociétés civiles africaines » pour la gestion des transitions politiques sur le continent – comme il l’a fait en RDC – tout en continuant à faire lui-même pression. Une « société civile » difficile à définir selon le contexte.