Cette semaine, l‘équipe d’Inspire Middle East vous emmène aux Emirats Arabes Unis, pour assister à la 11e édition de la Foire internationale d’art contemporain Abu Dhabi Art. Rebecca McLaughlin-Eastham y a rencontré le célèbre artiste franco-tunisien eL Seed.
L'Abu Dhabi Art met à l'honneur l'artiste franco-tunisien eL Seed
Des murs décorés avec des donuts géants, des tricératops grandeur nature, et des fleurs faites à partir de boutons … Voici une partie des œuvres que l’on pouvait voir cette année à l’Abu Dhabi Art.
Et ceux qui habitaient trop loin ou qui ne pouvaient pas s’y rendre ont tout de même pu visionner les œuvres, grâce l’initiative After Dark qui permettait de prendre le contrôle, à distance, d’un robot équipé d’une caméra.
Parmi les œuvres phares de cette édition, l’installation intitulée “Le Cœur de l’Eau”, de l’artiste argentin Leandro Erlich. Cette création était exposée dans la ville oasis d’Al Ain, à deux heures à l’est de la capitale.
Dans cette installation, 12 panneaux de verre imprimés mis les uns devant les autres forment des nuages. Une oeuvre similaire à celles exposées par l’artiste en Europe et en Extrême orient. Leandro Erlich est notamment connu pour son oeuvre “Bâtiment”, qui défie les lois de la gravité, ou encore pour son illusion d’optique, intitulée “Piscine.
Lors de la foire d’Abu Dhabi, nous avons interrogé l’artiste sur sa dernière création. “J’ai construit une sorte de nid à l’intérieur des nuages. J’ai intitulé cette œuvre “Le Cœur de l’Eau”, je voulais créer quelque chose de poétique en relation avec le désert”, explique Leandro Erlich. “J’aime l’idée de questionner le monde qui nous entoure. J’aime l’idée de développer le sens critique, pour engendrer une prise de conscience, et réaliser que tout n’est pas acquis.”
Pour l’artiste argentin, la scène artistique des Emirats Arabes Unis est très dynamique et intéressante. “Il y a de nombreux centres culturels qui s’ouvrent ici et de nouveaux musées. Je suis convaincu que l’art et la culture font partie de l’infrastructure et de la structure de l‘éducation, donc je pense que c’est quelque chose de très positif”, indique l’artiste.
Parmi les autres attractions majeures de la foire se trouvait le projet de l’artiste franco-tunisien eL Seed. “The Journey” a été réalisé en collaboration avec l’entreprise sociale 81 Designs. Des femmes et des enfants réfugiés, vivant dans le camps Ain El Hilweh au Liban, ont peint avec l’artiste des messages d’espoir et de paix. Ces peintures murales ont ensuite été transformées en œuvres d’art cousues à la main, selon les techniques de la broderie palestinienne Tatreez.
Il s’agit du dernier projet de l’artiste de 38 ans, installé aux Émirats arabes unis. Sa marque de fabrique est d’utiliser la calligraphie arabe pour diffuser des messages d’humanité, d’unité et de vivre ensemble. Son travail a été exposé dans les favelas de Rio de Janeiro et à l’extérieur de l’Institut du Monde Arabe, à Paris.
Dans son autre oeuvre phare, intitulée “Perception”, ses graffitis ont orné près de 50 bâtiments de la communauté copte de Zaraeeb, au Caire. Ses membres collectent les détritus de la ville et sont souvent discriminés. L’oeuvre et l’artiste ont conquis cette communauté égyptienne défavorisée.
Interview de l’artiste franco-tunisien eL Seed
Rebecca McLaughlin-Eastham : Vous avez toujours cru que l’art pouvait provoquer un changement politique et déclencher le dialogue. Quel message espérez-vous que les gens retiennent, avec votre dernier projet ?
eL Seed : Pour moi, l’art est un prétexte pour me rendre dans des endroits où je ne peux pas aller habituellement. C’est important de faire ce genre de projet, pour montrer qu’en 2019, il y a toujours des gens qui vivent dans des camps de réfugiés, dans des conditions de vie très difficiles. Ce camp a été ouvert en 1948. Et quand on voit 100 000 personnes qui vivent sur 2km2, on se dit qu’il faut sensibiliser les gens et leur montrer que, même si les médias n’en parlent pas, il y a encore des gens qui vivent comme ça aujourd’hui.
Vous vous êtes identifié fortement à vos racines arabes à 18 ans, et votre art est né d’une sorte de crise d’identité. Pouvez-vous m’en parler ?
Je crois que je me sentais déconnecté. J’avais l’impression de devoir choisir entre être Français et être Tunisien, car je suis né à Paris de parents Tunisiens. Je pense que c‘était mal, vous savez, de faire ce choix. Je suis allé vers mon identité arabe, car je me disais que j’avais l’air plus Arabe que Français et donc je me suis intéressé à la culture arabe, j’ai appris, et j’ai découvert la calligraphie, que j’ai transposée dans mes graffitis. A l‘époque, je me suis rendu compte que je n’aurais jamais pu faire ce que je fais aujourd’hui si je n‘étais pas aussi Français.
Pourquoi est-ce si important pour vous d’utiliser la calligraphie plutôt que les motifs, le “color-block” ou d’autres formes d’art ?
Je pense qu’il y a plus de profondeur. Ce n’est pas direct, tu invites les gens à essayer de comprendre. Je vois toujours trois couches dans mon travail : il y a les parties esthétiques qui peuvent plaire ou déplaire aux gens. Puis il y a le message. Donc chaque fois que je peins quelque chose, j‘écris un message en arabe. Je relie le message à l’endroit où je peins. Au Brésil par exemple, j’ai peint un poème portugais. Selon moi, la calligraphie arabe a ce pouvoir d’atteindre l‘âme avant les yeux. Et même si vous ne parlez pas arabe, même si vous n’avez aucun lien avec le monde arabe, vous trouverez toujours une connexion, vous ressentirez une émotion.
Votre travail engendre souvent de la gentillesse, on vous propose de prendre le thé par exemple. Vous pouvez m’en dire plus ?
Nous avons eu cette super expérience en Egypte. A chaque fois que je peignais sur les murs, chaque fois que je montais dans l’ascenseur, les gens ouvraient leur fenêtre et m’offraient une tasse de thé. Le premier, je le buvais, le second, j‘étais surpris, je venais d’en avoir un. Et ça continuait, à chaque fois les gens m’accueillaient comme ça. Une autre fois en Algérie, je peignais, j‘étais au septième étage d’un immeuble puis une petite fenêtre s’est ouverte. Une femme m’a dit : “Mon fils, tu as déjà déjeuné ? “ J’ai dit : “Non, je mangerai plus tard.” Et puis elle m’a donné une grande assiette de couscous.
C’est malpoli de refuser, n’est-ce pas ?
Oui, tu ne peux pas dire non ! Donc j’ai passé beaucoup de temps à boire du thé. Mais c‘était une façon pour la communauté de nous montrer, à moi et mon équipe, qu’ils nous acceptaient. Nous avons gardé contact avec eux.
Vos œuvres, et notamment celle du Caire, ne sont pas permanentes. Des nouveaux bâtiments se construisent devant les peintures murales, certaines œuvres sont effacées, retirées, détruites. Que pensez vous de cette nature temporaire ?
Je pense que l’essence de mon art est éphémère. Je crée pour un moment donné, et aujourd’hui nous avons la technologie pour capturer ça. Je documente tous mes projets. Mais je ne suis pas là pour arrêter la vie, la vie continue. Alors, je peins, puis il y a un instant à capturer : l’oeuvre d’art était ici. Et après les gens continuent à construire, la peinture peut craquer, quelqu’un peut démolir le bâtiment. Ça fait partie de l’oeuvre, j’adore ça. Pour moi, c’est la poésie de ce que je fais.
Quand l’art accompagne la révolte populaire libanaise
Le soleil vient de se lever sur Beyrouth, mais ces graffeurs sont déjà au travail. Ils créent une peinture sur le mur extérieur du siège de la Compagnie nationale d‘électricité de la capitale libanaise. Ces artistes ont été inspirés par une chanson, qui affirme que le peuple libanais ne sera pas gouverné par les riches élites du pays.
“Notre communauté a été réprimée culturellement et financièrement, c’est de l’esclavage d’une certaine façon. On dit que nous sommes nés libres, tout le monde est né libre, et cela doit rester le cas, alors nous nous battons”, explique Exist, l’un des graffeurs du groupe.
Exist et ses camarades estiment qu’avec leur art, ils contribuent au progrès politique du pays. Comme de nombreux autres à Beyrouth, le mur de la compagnie d‘électricité sera bientôt recouvert d’une histoire. “En tant qu’artistes graffeurs, on peint quelque chose sur le mur, mais ça ne nous appartient plus après, poursuit Exist. On a écrit notre histoire comme ça, on a écrit notre révolution sur les murs. La culture vient de nos luttes.”
Depuis le 17 octobre, les Libanais sont descendus dans la rue, pour demander la démission d’un gouvernement qu’ils estiment corrompu et qui ne les représente pas. Alors que le soleil se couche sur la capitale, de nombreux jeunes Libanais s’expriment dans les rues, cette fois à travers la danse.
“Ça rapproche les gens”, explique Alissa El Ali, l’une des danseuses. “C’est l’idée principale de cette révolution : rapprocher les gens dans la rue, tous ensembles, malgré leur différences, leurs origines, leur religion. Danser, en quelque sorte, ça réunit les gens.”
Pour le professeur de danse Mazen Tannous les Libanais sont parmi les plus talentueux et les plus créatifs du monde, en partie à cause des difficultés qu’ils ont endurées. “Les créations les plus artistiques proviennent de la douleur et de la souffrance, parce que quand on n’a pas grand-chose à faire, la créativité vient d’elle-même. On essaie d’explorer nos émotions d’une manière artistique et non par la colère”, estime le professeur de danse.
Plus loin sur la place des Martyrs, cet espace qui était vide depuis des années, est devenu un camp pour les manifestants. La place est désormais remplie de toutes sortes d’arts, sur les murs, le sol et même dans l’air, grâce à un groupe de musiciens qui donnent des concerts improvisés. Dana Ali est percussionniste. Les manifestations de ces derniers mois l’ont encouragée à partager sa musique. “Elles m’ont donné envie d’encourager les gens à descendre dans la rue, à utiliser leurs espaces publics, à ramener la vie au centre-ville qui était pratiquement mort avant, indique la jeune femme. Nous avons beaucoup à dire, beaucoup à faire, et si nous avons foi en nous, nous emmènerons ce pays plus loin qu’on n’avait jamais imaginé.”
À la tombée de la nuit, les manifestants se rassemblent sur la place centrale pour chanter, danser et célébrer leur unité. Une scène qui se répète dans tout le pays. Les Libanais ont trouvé de nouvelles façons de protester ensemble, comme dans la ville de Tripoli, au nord du pays, où le DJ Madi Karimeh anime des soirées de danse.
Lui aussi estime qu’en se rassemblant malgré leurs différences et en partageant leurs talents, les jeunes Libanais pourront construire un nouveau pays qui les représentera tous.