Après des mois d’intransigeance, le président camerounais Paul Biya a créé la surprise ce week-end en faisant libérer des centaines d’opposants, dont son grand rival Maurice Kamto, après avoir lâché du lest face aux indépendantistes anglophones. Simple changement de ton ou changement de cap ?
Au Cameroun, Paul Biya rebat ses cartes
Ces annonces “ont surpris tout le monde”, estime le politologue camerounais Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela, qui se demande : “Pourquoi maintenant (...), alors que, depuis trois ans, M. Biya est tenant d’une ligne dure ?”.
M. Biya, 86 ans dont 37 au pouvoir, s‘était montré inflexible face à la crise anglophone qui a fait plus de 3.000 morts, selon des ONG.
Les revendications des deux régions anglophones de l’Ouest, où cette minorité (16 % de la population) s’estime lésée face à la majorité francophone, se sont transformées en un conflit sanglant entre indépendantistes et forces armées.
Pourtant, le 10 septembre, le président annonce soudainement un Dialogue national sur la question. Ce dernier a abouti, vendredi, à la remise en liberté de 333 détenus liés au conflit séparatiste, et la promesse, vague encore à ce jour, d’un peu plus de décentralisation.
“En terme de communication, le grand dialogue a été une réussite pour le gouvernement, qui a donné l’impression d’avoir changé de méthode”, estime M. Akoa. “Toutefois, il n’est pas certain qu’il règle beaucoup de choses. Il est peu probable que ces mesures rassurent ceux qui ont pris les armes contre Yaoundé”, ajoute-t-il.
“Cela ne correspond pas aux attentes de la majorité des anglophones qui eux veulent tout au moins le fédéralisme”, tempère également Cindy Morillas, politiste associée au centre français de recherche Les Afriques dans le monde (LAM).
Le dialogue s’achève donc sans grand espoir de faire revenir rapidement la paix en l’absence des chefs des principaux groupes armés qui ont boycotté ces assises et exigent, eux, l’indépendance. Fin août, un des leaders des séparatistes, Julius Ayuk Tabe, a lui été condamné à la prison à vie à Yaoundé.
Pour Cindy Morillas, le président a surtout réagi aux pressions internationales, “ainsi qu‘à celles de la société civile en interne, il ne pouvait pas ne pas bouger”, estime-t-elle.
Depuis le début de l’année, les Etats-Unis, l’Union Européenne, ou encore son allié de toujours, la France, ont élevé la voix pour demander au chef de l’Etat d’assouplir sa gestion de la crise anglophone mais aussi pour exiger la libération de Maurice Kamto.
“Un tout petit pas en avant”
En plus du conflit anglophone, Yaoundé doit en effet faire face à une autre crise : depuis la réélection de M. Biya il y a un an, le parti de Maurice Kamto, arrivé deuxième lors du scrutin, estime qu’il l’a emporté. Cet avocat de renommée internationale, ainsi que des centaines de ses partisans, ont été arrêtés en janvier dernier à l’issue d’une marche pacifique, mais interdite par les autorités. Bien d’autres ont suivi derrière les barreaux.
Après avoir créé la surprise avec la libération de 333 personnes détenues en lien avec la crise anglophone, M. Biya a annoncé la remise en liberté de M. Kamto et de 102 de ses partisans sous le coup d’un procès pour “insurrection” où ils encouraient théoriquement la peine de mort.
Les réactions n’ont pas tardé, Washington saluant “une étape constructive vers la réduction des tensions politiques”.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres a, lui, “encouragé” le Cameroun “à continuer à adopter davantage de mesures de confiance et de réconciliation”.
Sur le conflit dans l’Ouest, Washington et l’ONU ont appelé à poursuivre les efforts en vue de la paix.
Les annonces un peu “grandiloquentes”, dont la libération de M. Kamto, “mettent un voile sur le peu d’avancée obtenu sur la crise anglophone”, analyse pour sa part Mme Morillas. “Ce n’est pas un pas en arrière mais un tout petit pas en avant”, résume-t-elle.
Une incertitude qui se retrouvait dans les kiosques camerounais lundi matin. La presse proche du pouvoir se félicitait, à l’image du Cameroon Insider qui déclare “La nation entière en mode de paix”.
Plus proche de l’opposition, le quotidien Mutations titrait sur la “Détente nationale” tout en s’interrogeant sur les suites du dialogue national : “Des résolutions… Et après ?”.
AFP