Cameroun : les habitants des zones anglophones pris en tenaille entre soldats et séparatistes

Fermer les commerces et s’exposer aux foudres des autorités et de l’armée ou risquer le pire en bravant les journées “ville morte” imposées par les séparatistes ? C’est le terrible dilemme des habitants de Buea à six jours du Grand dialogue national sur la crise anglophone.

Chaque lundi, cette capitale de la région du Sud-Ouest, l’un des deux territoires anglophones, tourne au ralenti. Pour empêcher la politique de “ville morte” des sécessionnistes – dont des groupes armés violents qui réclament l’indépendance dans un Cameroun très majoritairement francophone -, des représentants de la mairie posent des scellés au texte menaçant sur les commerces restés fermés.

“Si vous vous entêtez”, explique Jérémie, propriétaire d’un snack qui n’a pas ouvert lundi, les séparatistes peuvent “revenir incendier votre établissement ou vous filer et vous rendre visite”.

“Nous avons peur, on regarde à gauche, à droite”, confirme un commerçant anonyme, resté ouvert lundi. Il dit craindre de voir arriver “à tout moment les amba-boys”, les miliciens des séparatistes qui veulent créer leur Etat, l’Ambazonie, dans cette portion anglophone du territoire du Cameroun, ancienne colonie allemande partagée et confiée, par mandat de la Société des nations (SDN), à la France et au Royaume-Uni à l’issue de la Première Guerre mondiale.

Les actuelles régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest avaient été rattachées, à l’issue d’un référendum, au reste du Cameroun un an après son indépendance de la France en 1960. Là, depuis trois ans, des revendications sociales des populations qui s’estiment lésées par rapport aux huit autres régions francophones se sont muées en un conflit meurtrier entre des groupes indépendantistes armés radicalisés et les forces de sécurité de l’Etat, resté sourd aux revendications.

Les affrontements, mais aussi les exactions et crimes commis par les deux camps sur les civils, ont fait plus de 2000 morts depuis le début de la crise, en 2017, selon International Crisis Group.

“Amba-boys”

Dans le quartier sensible de Mile 16, à l’entrée de Buea, l’armée a mené récemment une opération contre les miliciens séparatistes, qui n’ont pas forcément gagné la sympathie de la population.

“Les amba-boys qui opèrent de temps en temps en ville viennent de contrées un peu reculées”, y affirme un responsable d’une ONG locale. Il assure, sous couvert de l’anonymat, que l’armée a réussi à sécuriser le quartier grâce à la collaboration des habitants excédés par les rackets des séparatistes.

Toutes les personnes approchées par l’AFP à Buea affichent leur lassitude mais attendent peu du Grand dialogue national que le président Paul Biya, qui dirige le Cameroun d’une main de fer depuis 37 ans, a fini par concéder il y a deux semaines.

Il se tiendra du 30 septembre au 4 octobre, mais à Yaoundé, la capitale, sous l‘égide du Premier ministre, et sera boycotté par nombre de mouvements séparatistes anglophones et certains partis de l’opposition camerounaise, dont de nombreux cadres et leaders sont emprisonnés.

Avant tout dialogue, “l’un des préalables aurait été la cessation des hostilités”, remarque Virginie, une enseignante, au passage de militaires en armes. Pour elle, le Grand dialogue national “a déjà échoué avant même d’avoir commencé”.

“Nous sommes tellement fatigués de cette situation”, confirme un employé d’une compagnie publique, Kingsley Ebong. “Nous espérons que le dialogue marchera. Il faudra surtout que les gens y aillent avec de la bonne volonté”, plaide-t-il.

Refus séparatiste

“Le dialogue est une perte de temps”, rétorque un avocat ayant requis l’anonymat. “Le problème anglophone dure depuis de nombreuses années. Le gouvernement ne peut pas prétendre ne pas le connaître”, souligne-t-il même si, “il y a des extrémistes” qui, aussi, “veulent la rupture”.

Nombre d’anglophones prônent la partition, se disant étrangers au reste d’un pays à plus de 80% francophone et dont le pouvoir, selon eux, accapare les postes et les richesses.

La plupart des leaders anglophones favorables à l’indépendance, dont Sisuku Ayuk Tabe, condamné récemment à la prison à vie pour “terrorisme” alors qu’il prône, au moins publiquement, la sécession par le dialogue, de même que les chefs des groupes armés, ont rejeté l’offre de dialogue.

Certaines figures anglophones modérées ont préconisé une rotation de la présidence entre un francophone et un anglophone, ainsi que l’instauration d’un fédéralisme à huit Etats, selon certains journaux.

Seulement, Yaoundé n’est pas disposé à débattre de ces questions. Les thèmes du dialogue ont été soigneusement définis par M. Biya, quand il l’a annoncé le 10 septembre, rejetant d’emblée rejeté tout fédéralisme ou l’idée qu’il pourrait céder, à 86 ans, la présidence à laquelle il a été réélu en 2018 dans un scrutin contesté par l’opposition.

AFP
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