Human Rights Watch et la Plateforme pour la promotion et la protection des droits humains (PPDH) se penche sur le sort des ‘‘talibés’‘ du Sénégal, ces enfants élèves dans des écoles coraniques dont la réputation de mendiants traverse les frontières du pays. Dans leur rapport, HRW et la PPDH dépeignent une situation loin de celle d’une enfance ordinaire, marquée par de nombreux abus qui n’augurent en rien d’un avenir radieux pour ces gamins. Les détails.
Sénégal : les enfants ''talibés'' subissent des "souffrances énormes" (HRW, PPDH)
Des ‘‘énormes souffrances’‘, voilà ce que subiraient les ‘‘talibés’‘ aux dires des deux organisations qui ont publié leur rapport ce mardi. Dans sa lancée, HRW a adressé un message au président sénégalais Macky Sall, lui demandant de mettre un terme au calvaire que subissent ces enfants.
Dans leur rapport, HRW et la PPDH (un réseau d’ONG sénégalaises, NDLR) mentionnent que “Plus de 100.000 enfants seraient forcés de mendier chaque jour par leur maître coranique pour ramener de l’argent ou de la nourriture, sous peine de brimades physiques ou psychologiques de leur maître, dans ce pays d’Afrique de l’Ouest dominé par l’islam confrérique”.
Ces abus et négligences auraient entraîné la mort d’une quinzaine de ces enfants ces dernières années. A ce propos, seize de d’entre aux sont morts dans la période 2017-2018 “des suites de passages à tabac, d’actes de négligence ou d’une mise en danger par certains maîtres coraniques dans leurs écoles, appelées ‘daaras’”, selon le rapport conjoint.
Ce rapport de 81 pages contient 150 interviews. Parmi celles-ci, 88 sont celles de ‘‘talibés’‘ et/ou anciens ‘‘talibés’‘. L’on y trouve aussi des interviews de maîtres coraniques, de travailleurs sociaux, de responsables gouvernementaux et de différents experts.
Séquestrations, viols, passages à tabac…
S’attardant sur les violences subies par ces enfants, HRW et la PPDH disent en avoir recensé “dans huit des 14 régions du Sénégal, dont 61 cas de passages à tabac ou d’abus physiques, 15 cas de viols, tentatives de viols ou abus sexuels, 14 cas d’enfants séquestrés, attachés ou enchaînés dans des ‘daaras’, et un recours généralisé à la mendicité forcée”.
Un ‘‘talibé’‘ âge de neuf ans témoigne dans le rapport : “Je n’aimais pas le ‘daara’ parce qu’on nous frappait tout le temps si on ne mémorisait pas les versets du coran, ou si on ne rapportait pas d’argent.” Toujours dans le même rapport, autre de ces enfants âgé de treize ans ajoute : “Si on essayait de s’enfuir, le marabout nous entravait les jambes avec une chaîne.”
Selon HRW et la PPDH, de nombreux enfants ont affirmé avoir été “attachés, enchaînés ou séquestrés dans des ‘daaras’, dans des salles comparables à des cellules, parfois pendant des semaines voire des mois, en guise de punition”.
Pour Mamadou Wane, coordinateur de la PPDH, le président Macky Sall pourrait exercer un “impact durable sur la vie de milliers d’enfants”. Wane réclame par la même occasion des mesures d’urgence auprès du numéro Un sénégalais.
Quant à Corinne Dufka, la directrice adjointe de la division Afrique de HRW, elle s’interroge sur les résultats mitigés de la lutte contre l’exploitation des ‘‘talibés’‘. En effet, en 2016, les autorités sénégalaises lançaient une opération visant à retirer des rues ces enfants forcés à la mendicité.
Pour Corinne Dufka, si ces autorités “se disent engagées à protéger les enfants et à éliminer la mendicité forcée, pourquoi un si grand nombre de ‘daaras’ dangereux ou caractérisés par l’exploitation ou d’autres abus continuent-ils d’opérer ?”
La question est posée. En attendant une éventuelle réponse ou solution, les enfants ‘‘talibés’‘ restent piégés dans le labyrinthe des ‘daaras’, tenus d’une main de fer par leurs maîtres.