À 76 et 72 ans, les deux principaux candidats en lice pour la présidentielle de février au Nigeria ne reflètent pas vraiment leur électorat: 60% de la population a moins de 30 ans et l‘âge médian du géant de 180 millions d’habitants est de 18 ans.
Fin de la partie pour la vieille garde des politiciens nigérians ?
Cette campagne électorale, qui rassemble toujours les mêmes personnalités politiques, indéboulonnables depuis l’indépendance, pourrait toutefois être la dernière pour le président Muhammadu Buhari et son principal rival, Atiku Abubakar, et marquer la fin de la partie pour la vieille garde des politiciens nigérians.
Sur une photo en noir et blanc, retrouvée il y a une dizaine d’années et abondamment partagée depuis sur les réseaux sociaux, deux jeunes officiers de l’armée jouent aux dames.
Deux de leurs camarades, en retrait, regardent les pions et semblent réfléchir à une stratégie pour remporter la victoire.
Il s’agit d’anciens dirigeants militaires du pays, Olusengun Obasanjo, Ibrahim Babangida, Ty Danjuma et Sani Abacha. Les mêmes, ou presque, sont toujours sur le devant de la scène politique ou en coulisses.
Un internaute a d’ailleurs accolé cette légende: “Le jeu (de pouvoir) a commencé il y a bien longtemps.”
Quelque 85 millions d‘électeurs doivent se rendre aux urnes le 16 février et bien qu’il y ait plus de 70 candidats, la vraie bataille se joue entre l’actuel président, Muhammadu Buhari, qui fut également au pouvoir en 1983 pendant les dictatures militaires, et Atiku Abubakar, vice-président d’Obasanjo entre 1999 et 2007.
Tous deux sont des anciens de la politique nigériane mais surtout, ils ont le soutien des “parrains”, de leurs “ogas”, comme on les appelle au Nigeria.
Obasanjo, du haut de ses 81 ans, a choisi son ancien vice-président malgré des rancoeurs passées, et se prononce régulièrement contre Buhari, dénonçant son “incompétence” et ses dérives “dictatoriales”.
Classé parmi les plus grandes fortunes du Nigeria, au pouvoir pendant un régime militaire de 1976 à 1979 et premier président de l‘ère démocratique, il continue à peser très lourd sur l‘échiquier politique.
De même, Ibrahim Babangida, 77 ans, qui a renversé Muhammadu Buhari dans les années 1980 par un coup d’Etat et dont la dictature militaire (1985-1993) laisse peu de bons souvenirs aux Nigérians, tire toujours les ficelles du pays grâce à son immense richesse.
21e siècle
Il avait été suspecté d’avoir blanchi 12 milliards de dollars pendant la guerre du Golfe, mais comme “tous les incroyablement riches et influents Nigérians, il se déplace en homme libre aujourd’hui”, rappelle le magazine Forbes.
“IBB” est même apparu aux côtés de l’une des candidates à la présidence, Oby Ezekwesili, lors de son premier meeting (elle s’est depuis retirée de la course).
Sani Abacha, dictateur sanguinaire qui a dirigé le pays de 1993 à 1998 est mort, mais Obasanjo, Babangida ou Danjuma, 79 ans, ancien général et ministre de la Défense, sont devenus des parrains de la politique, qui adoubent ou révoquent les candidats, choisissent les ascensions politiques, les chutes ou les nominations.
“Quand est-ce que ces anciens vont partir?”, s’interroge Saadatu Falila Hamu, une avocate de 28 ans spécialisée dans la lutte anti-corruption et basée à Abuja. “Nous avons besoin de dirigeants jeunes qui comprennent le monde du 21e siècle”.
C’est la première fois que les Nigérians qui n’ont pas connu les dictatures militaires et sont nés après la transition démocratique (1999) iront voter.
“C’est ici que se prépare notre futur”, a lancé Fela Durotoye, 47 ans, l’un des candidats outsiders de la campagne (Alliance pour un Nouveau Nigeria), lors d’un débat présidentiel à la mi-janvier.
Ni Buhari, ni Atiku Abubakar n’y ont participé, laissant le champ libre aux plus petits candidats. Fait rare depuis le début de la campagne, la discussion s’est davantage tournée vers les idées et les programmes que les réseaux de clientélisme.
Clientélisme
“Les candidats plus jeunes n’ont pas les ressources suffisantes pour remporter une élection”, analyse Abubakar Sadiq, politologue nigérian à l’université d’Ahmadu Bello de Zaria (nord).
Au Nigeria, gangrené par l’extrême pauvreté, la corruption et la négligence de ses dirigeants, la politique est largement conditionnée par les soutiens et les millions de dollars que les candidats peuvent investir dans une campagne.
La génération montante a pourtant de “meilleures idées” pour diriger le pays, estime M. Sadiq.
Les deux principaux candidats ont d’ailleurs choisi des vice-présidents plus jeunes, technocrates, populaires.
Peter Obi, 57 ans, (pour le Parti Populaire Démocratique d’Abubakar) et Yemi Osinbajo, 61 ans, (pour le Congrès des Progressistes, au pouvoir) devraient jouer un rôle important au cours du prochain mandat, compte tenu du grand âge du prochain chef de l’Etat, quel qu’il soit.
Le scrutin sera sûrement un tournant dans la vie politique du Nigeria, le dernier échelon pour leur ascension vers le pouvoir en 2023.