Vidéos d’exactions commises sur le sol camerounais publiées sur Facebook, forte présence politique sur Twitter: pour la première fois au Cameroun, les réseaux sociaux sont au coeur de l‘élection présidentielle, prévue le 7 octobre.
Au Cameroun, les réseaux sociaux au coeur de la présidentielle
Y prendront part neuf candidats, dont le président sortant Paul Biya, 85 ans dont 35 au pouvoir, qui a annoncé dans l‘été et de manière inédite sa candidature à une sixième réélection… sur Twitter.
En 2011, date de la dernière présidentielle, seuls quelques candidats avaient utilisé les réseaux sociaux. Aujourd’hui, tous ou presque ont une équipe dédiée.
Parmi les principaux challengers à Paul Biya, le candidat du Social Democratic Front (SDF, principal parti d’opposition) Joshua Osih va jusqu‘à dialoguer avec les Camerounais sur la toile.
Un internaute critique sa stature, selon lui, non présidentielle quand M. Osih poste une photo de lui à l’aéroport de Paris : “je veux justement rompre avec les protocoles”, lui répond, du tac au tac, le compte officiel du candidat du SDF.
“Il y a un potentiel de diffusion beaucoup plus important (pour les candidats présents sur Internet) que lorsque leur communication passe dans la presse papier ou à la radio”, estime Julie Owono, directrice de l’ONG Internet Sans Frontières.
Pour elle, cette présence accrue en 2018 sur Internet s’explique par un taux de connectivité qui a sensiblement augmenté au Cameroun: de 0,24% en 2011 à 35 % en 2017, selon le ministère des Postes et Télécommunications cité par les médias d’Etat début septembre.
“Il y a eu une diminution des coûts d’accès à Internet (et) la qualité du réseau s’est aussi améliorée”, explique encore Mme Owono.
“Désinformation”
Alors que la campagne présidentielle débute officiellement samedi, elle devrait largement être dominée par les défis sécuritaires du Cameroun dans ses régions anglophones.
En conflit armé, ces deux régions sont peu accessibles aux médias et ONG, mais les parties prenantes du conflit utilisent les réseaux sociaux pour dénoncer des présumées violations de droits de l’homme qui auraient été commises par l’adversaire.
Depuis le début du conflit fin 2017, des vidéos d’exactions, de séparatistes anglophones comme de soldats camerounais, circulent ainsi de façon quasi-quotidienne sur les réseaux sociaux.
Un gendarme décapité par des séparatistes, des villages brûlées par l’armée, ou encore des scènes de torture: tous les excès filmés sont bons pour les deux camps pour tenter de décrédibiliser l’adversaire.
Face à cette recrudescence de l’horreur filmée et diffusée, le gouvernement a dénoncé début septembre “l’usage inapproprié de l’Internet”.
Cette augmentation des discours haineux ainsi que la diffusion de “fake news” (fausses informations) sont “une menace pour notre droit à la bonne information, surtout en période électorale”, a estimé Issa Tchiroma Bakary, ministre de la Communication.
En juillet, le ministre avait qualifié de “fake news” une vidéo d’exactions de présumés soldats camerounais dans la région de l’Extrême-Nord, où l’armée est déployée contre le groupe jihadiste nigérian Boko Haram.
Quelques semaines plus tard, plusieurs soldats avaient été arrêtés après qu’une enquête eut été ouverte.
“Les grands défis quant à l’usage des réseaux sociaux (à l’occasion de la présidentielle) portent sur la désinformation”, corrobore à l’AFP Janvier Ngnoulaye, président de l’ONG Internet Society Cameroon.
“Image mise à mal”
A moins de trois semaines du scrutin présidentiel, des soutiens du président Biya – qui l’estiment le mieux à même de répondre aux crises créées par les séparatistes anglophones et Boko Haram – estiment que ces vidéos d’exactions de l’armée étaient publiées à dessein.
“Il s’agit de mettre à mal l’image de Biya”, déclare une source sécuritaire.
De fait, une guerre d’images a pris place sur Internet autour du bilan du chef de l’Etat: quand ses détracteurs postent des photos de routes en mauvais état, ses soutiens répondent avec des photos de grands projets en cours, comme l’autoroute entre Yaoundé et Douala.
Début septembre, une énième rumeur circulait sur les réseaux sociaux: comme au Mali en août, Yaoundé serait sur le point de couper l’accès à Internet durant le scrutin.
“Fake news”, a répondu la ministre des Postes. Début 2017, Yaoundé avait coupé durant trois mois Internet – la plus longue coupure sur le continent – dans ses régions anglophones pour étouffer la contestation grandissante.
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