Les mots tranchent, la voix gronde et les auditeurs se bousculent : derrière son micro, Mohamed Youssouf Bathily dit Ras Bath dégaine. Contre la “machine à fraude” électorale, contre l’armée malienne “incapable” de vaincre les jihadistes, contre le “coup d‘État institutionnel” dont il accuse le pouvoir, à coups de chroniques au vitriol.
Mali : l'animateur radio Ras Bath, nouveau roi de la contestation électorale ?
Animateur radio adulé, ce tribun de 44 ans surnommé “le Guide” par ses fans, cristallise la rancoeur populaire, en particulier celle des jeunes, contre la classe politique dirigeante, “une bande criminelle” responsable des affres du Mali, pays épuisé par la pauvreté extrême et six années de violences jihadistes et ethniques.
L’opposition clame que l‘élection présidentielle, remportée officiellement par le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta, dit “IBK”, a été une “fraude monstrueuse”, mais elle peine à mobiliser la rue. Ras Bath, lui, continue à susciter les passions.
Ses longues tribunes en bambara mâtiné de français peuvent durer plus de deux heures et sont suivies à travers le pays avec engouement, à la radio comme sur internet où il compte plus de 200.000 abonnés sur Facebook.
À tel point qu’il est de plus en plus vu comme l’opposant numéro Un à IBK. “Je suis le fruit du vide (...) créé par les politiciens car ils ont déçu, ils ont déserté. La population était laissée à elle seule, elle avait besoin de quelqu’un qui pouvait canaliser ses problèmes”, déclare l’animateur à l’AFP.
Bonnet rasta marron, lunettes carrées, fine barbichette, ce fils d’un ex-ministre d’IBK devenu transfuge le jure : les responsabilités politiques, non merci. “Je suis tout simplement un leader d’opinion qui a pour mission de renforcer les capacités citoyennes”, dit Ras Bath, de son vrai nom Mohamed Youssouf Bathily.
Troisième front ?
“Il est en train d’attendre quelque chose”, croit plutôt une source diplomatique européenne bien au fait du jeu politique à Bamako, ajoutant : “Est-ce qu’il attend juste le bon moment, ou bien il va joindre un troisième front? Un front de contestation qui ne fait pas le combat de Soumaïla Cissé”.
Appuyé par Ras Bath lors de la campagne, Soumaïla Cissé n’a pas su unir dernière lui l’ensemble de l’opposition au deuxième tour et n’a récolté que 32,83% des suffrages le 12 août face à IBK, selon des chiffres qui devaient être validés lundi par la cour constitutionnelle.
“L’opposition n’est pas une opposition idéologique, n’est pas une opposition politique, n’est pas une opposition systémique. C’est une opposition d’hommes, une opposition d’intérêts personnels, et c’est dommage”, juge Ras Bath, rencontré dans une autre radio que celle où il officie habituellement, Renouveau FM, car fermée pendant l’entre-deux tours sur ordre du pouvoir.
Ce n‘était pas la première fois qu’il avait maille à partir avec les autorités. En 2016, son interpellation et sa comparution avaient entraîné des émeutes à Bamako. Bilan : un mort, des dizaines de blessés et d’importants dégâts. Condamné en première instance pour “incitation à la désobéissance des troupes”, il avait été acquitté en appel fin 2017.
Il affirme avoir été puni pour ses chroniques sur le scandale de “surfacturation” et de “détournements de fonds publics” dans l’affaire du renouvellement de la flotte d’avions présidentiel et militaires, révélée par le Bureau vérificateur général (BVG) du Mali.
‘Personne à l’abri’
“Fermez la radio autant de temps que vous voulez, ma dignité, ma conviction —je suis un rasta— ça ne se transige pas”, dit-il. Le ministre de la Justice, accuse-t-il, a alors demandé, en échange de sa liberté, son silence sur ce scandale qui a poussé le FMI à suspendre son aide financière pendant six mois.
“Tu peux m’arrêter parce que tu as la machine, mais tu ne m’arrêteras pas sur la base du droit!”, lance, convaincu, ce juriste de formation, spécialiste en contentieux des affaires.
Du reste, il entretient le flou sur le rôle qu’il compte occuper sur la scène publique lors du deuxième quinquennat d’IBK, qui débute le 4 septembre.
Après avoir pris fait et cause pour M. Cissé, “il semble que c’est celui qui a le plus à perdre dans cette histoire”, estime un observateur européen.
Frondeur, Ras Bath avertit: “Plus personne n’est à l’abri des contestations du peuple”. En tête d’une manifestation samedi pour rejeter les résultats du second tour, il a prévenu: “Aucun président ne saurait arrêter le rasta”.
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AFP