Bruxelles a inauguré samedi un square Patrice Lumumba, du nom d’un des héros de l’indépendance de l’ex-Congo belge, assassiné dans des conditions troubles en 1961, un geste présenté comme “symbolique” pour les Congolais de Belgique, sur fond de réflexion sur les stigmates de la colonisation.
RDC : un square Lumumba à Bruxelles, pour réfléchir aux stigmates de la colonisation
Des centaines de personnes étaient présentes au moment où une plaque bleue portant le nom de Lumumba a été dévoilée. “Aujourd’hui, au coeur de la capitale, Bruxelles, en inaugurant cette place Patrice Lumumba, nous commencons à écrire notre histoire,” a déclaré Philippe Close, bourgmestre (maire) socialiste de Bruxelles.
Dans la capitale, un tel hommage à celui qui fut entre juin et septembre 1960 l‘éphémère chef du gouvernement du jeune Congo indépendant (l’actuelle RDC, ex-Zaïre) était réclamé depuis des années par des associations de la diaspora congolaise.
Le lieu choisi est situé à côté de l’entrée dans Matongé, le quartier congolais de Bruxelles. L’inauguration a eu lieu en présence de membres de la famille du leader assassiné.
Face aux blocages constatés à Ixelles (où se situe le coeur de Matongé) c’est finalement la commune voisine de Bruxelles-ville qui a saisi l’opportunité de ce “geste de réconciliation”, comme le souligne son maire.
“Ce symbole était réclamé depuis 13 ans par certaines associations. Moi j’avais une majorité, j’ai saisi ma chance”, a expliqué à l’AFP Philippe Close, rappelant que son conseil communal a voté la décision en avril “à l’unanimité”.
Baptiser un lieu public du nom de Lumumba est inédit en Belgique, où le paysage urbain recèle davantage de statues du roi Léopold II ou d’autres sculptures célébrant les “héros” belges ayant “apporté la civilisation au Congo”.
Patriote perçu comme prosoviétique par les Américains et désavoué par les milieux d’affaires belges, Patrice Lumumba fut assassiné le 17 janvier 1961 dans la province du Katanga, avec la complicité présumée de la CIA et du MI6 britannique.
La Belgique a présenté ses “excuses” en 2002, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, qui avait reconnu que “certains membres du gouvernement d’alors et certains acteurs belges de l‘époque portent une part irréfutable de responsabilité dans les événements qui ont conduit à la mort de Patrice Lumumba”.
Une commission d’enquête du Parlement belge a tenté en 2000-2001 d‘éclaircir cette zone d’ombre de la relation entre le Congo et son ex-puissance coloniale. Elle avait conclu en novembre 2001 que “certains ministres et autres acteurs” belges portaient une “responsabilité morale” dans cet assassinat.
Mais elle a laissé un goût d’inachevé à certains, comme à Natou Sakombi, chercheuse en histoire, qui voit une forme d’“hypocrisie” dans l’inauguration d’un lieu dédié à Lumumba.
Pour cette fille de réfugiés politiques ayant fui la dictature de Mobutu dans les années 80, il faudrait d’abord pouvoir reconnaître officiellement que Lumumba “dérangeait clairement” les intérêts belges dans son ex-colonie, même si aucune preuve n’existe que l’ordre de l’exécuter est venu de Bruxelles.
“Ce passé est problématique”
“Je pense que c’est inutile d‘ériger une place Lumumba, il y a beaucoup trop de choses qui doivent être réglées avant”, résume Mme Sakombi.
“Il a une forte valeur symbolique, mais ce n’est pas LE geste qui va résoudre toutes les questions qui peuvent encore se poser sur la colonisation”, admet de son côté Philippe Close.
L’inauguration, organisée 58 ans jour pour jour après la proclamation de l’indépendance du Congo, intervient au moment où la Belgique est traversée de débats sur le récit de son passé colonial avec la vaste transformation du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren (banlieue de Bruxelles).
Doté entre autres de 120.000 objets ethnographiques et 10 millions de spécimens zoologiques, ce musée a été conçu au 19e siècle par Léopold II pour offrir aux Belges une vitrine des “bienfaits” de la présence au Congo, étendue ensuite, au début du 20e siècle, au Rwanda et au Burundi.
Le site, qui doit rouvrir en décembre après cinq ans de travaux, promet d’offrir désormais un “regard critique” sur la colonisation, mais se heurte déjà aux mécontentements. Certains dénoncent un musée de la “propagande décoloniale”, d’autres déplorent un mépris du point de vue africain et prônent une restitution des oeuvres “pillées”.
“Vouloir réconcilier tout le monde c’est peine perdue, justement parce que ce passé est problématique”, souligne le directeur du musée, Guido Gryseels.
AFP