La fascinante réserve d'or de la Banque centrale allemande

L’Allemagne, première puissance économique d’Europe, championne des exportations du même continent, est assise sur la plus grosse réserve d’or au monde, après les Etats-Unis. Le pays d’Angela Merkel possède la bagatelle de 3.400 tonnes d’or, équivalant à 117 milliards d’euros. Incursion dans le monde très fermé de l‘économie allemande.

La Banque centrale allemande lève le voile sur ses énormes réserves d’or, à travers une exposition. Le but de cette initiative pour le moins inattendue est de contrer les ardeurs des sceptiques, en leur prouvant que le récent rapatriement des lingots d’or allemands n’est pas un mythe, mais bel et bien une réalité.

En effet, les lingots d’or de la première puissance économique européenne dormaient jusqu‘à récemment dans des banques américaines, à New-York, mais aussi anglaises (Londres) et françaises (Paris). Si vous vous demandez pourquoi, sachez que la guerre froide y était pour quelque chose.

Pendant la vicieuse guerre qui opposait (et qui continue d’opposer) le bloc de l’Ouest à celui de l’Est, l’Allemagne de l’Ouest était hantée par la possibilité de se faire envahir par l’URSS, qui aurait pu mettre le grappin sur son or. La décision de garder le précieux métal dans les banques du ‘‘monde libre’‘ avait finalement été adoptée.

Mais les temps ont changé, le mur de Berlin est tombé et l’Allemagne est à nouveau une et indivisible. La pression des Allemands, qui ont fini par s’impatienter, a eu raison de la très célèbre Bundesbank (basée à Francfort). La banque a donc procédé au rapatriement en 2017 de la moitié de ses réserves d’or, stockées à la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre et la Banque de France.

Où se trouve aujourd’hui l’or allemand ? Les lingots sont jalousement gardés dans le sous-sol de la Bundesbank. Quant à l’endroit exact, il est aussi secret que les combinaisons des coffres-forts qui renferment le métal jaune.

La banque n’a décidé d’exposer que huit de ses lingots d’or, que l’on peut admirer au Musée de l’argent. Cette exposition a pour thème “Or. Des trésors dans la Banque centrale allemande” et se tient du 11 avril au 30 septembre de cette année.

Carl-Ludwig Thiele, membre du directoire de la “BuBa” (diminutif de Bundesbank), qui se tient à côté des lingots de 12 kg exposés dans des vitrines, explique : “nous faisons cela pour montrer aux citoyens que les lingots d’or sont là. Nous voulons qu’il y ait de la confiance dans la Banque fédérale et dans (ses) réserves (d’or). Et cela ne peut se gagner qu’avec de la transparence.”

Rapatriement sous pressions, ou par souci de transparence ?

La Bundesbank justifie ce rapatriement par le fait de l‘évolution des situations politique et géopolitique, comme mentionnées plus haut. Mais pour certains observateurs, c’est plutôt la pression des politiciens et des Allemands, soucieux de savoir si cet or existait bel et bien, qui a eu le dernier mot.

Pour illustrer leur thèse, ces observateurs se réfèrent à la crise financière consécutive à la dette dans la zone euro. Cette dette avait poussé les investisseurs à se replier sur des valeurs refuge comme l’or. La forte demande en métal jaune etait vite devenue une réalité pressante. Le manque d’informations sur l’or allemand avait fini par provoquer une sorte d’hystérie dans le monde de la finance, à tel point que “certains se sont demandé si les réserves en Allemagne et à l‘étranger étaient réelles”, révèle Carl-Ludwig Thiele.

Autre illustration de la pression, la campagne “Ramenez notre argent à la maison”. Cette campagne, initiée par le très virulent eurosceptique Peter Boehringer, désormais député du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), inondait la Bundesbank d’un nombre incalculable de lettres de pétitions.

Harcelée par toutes ces pressions et interrogations, la Banque centrale allemande avait fini par se pencher sur la question. En 2013, elle dévoilait son plan de rapatriement de la moitié de ses 270.000 lingots.

Pour Bernhard Löderbusch, 63 ans, ex-banquier et visiteur de l’exposition, cette décision est sage. Il pense que “si vous possédez quelque chose, vous devriez l’avoir à la maison. Il suffit qu’un conflit éclate à l‘étranger et que vous ne sachiez pas que l’or est parti…”

Garder l’or à New-York et à Londres, stratégie payante

Mais tout l’or des réserves allemandes n’est pas encore retourné au bercail. Seules 1.710 tonnes d’or sont conservées à Francfort. Il en reste encore un peu plus de 1.200 à New-York et à peu près 430 à Londres. Quant aux lingots stockés dans la Banque de France, ils sont tous rentrés à la maison. La raison ? Selon la “BuBa”, la France et l’Allemagne partageant l’euro comme monnaie, conserver l’or en France n’aurait aucun intérêt au cas où une crise nécessiterait de convertir rapidement le précieux métal en liquidités.

L’Allemagne ne semble pas pressée de rapatrier ses réserves d’or de New-York et de Londres et pour cause ; la Fed américaine est la première réserve de monnaie au monde, tandis que Londres est le premier centre mondial de commerce de l’or.

A la fin de la deuxième guerre mondiale en 1945, l’Allemagne était ruinée et n’avait plus d’or. Mais les années dites du miracle économique lui ont permis d’accumuler son trésor. La Bundesbank estime que même si le métal jaune n’est plus de nos jours primordial pour le système financier, il reste tout de même une “sphère de sécurité”.

Les Allemands ont bonne mémoire. Ils n’ont pas oublié l’hyperinflation de la République de Weimar dans les années 1920, qui avait plongé leur pays dans le chaos économique et servi de terrain propice au tristement célèbre règne des nazis. Pour les Allemands donc, le caractère matériel de l’or justifie l’intérêt qu’il suscite dans le pays.

D’ailleurs, Bernhard Löderbusch cogite sur ce sujet, remarquant que l’or “incarne tout : l’argent, le pouvoir, la cupidité, ce pour quoi les gens ont été tués et les guerres menées… L’or est fascinant”.
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