Opéra et tarab, vecteurs d’émotions culturelles et musicales

Dans cette édition, le directeur de l’Opéra de Dubaï lèvera le voile sur quelques friandises culturelles programmées cette saison. Vous passerez aussi un moment en compagnie de l’Orchestre des jeunes de l’Union européenne venu se produire dans l’émirat, sous la baguette du chef russe Vasily Petrenko. Enfin, Salim Essaid vous emmènera en Jordanie à la rencontre de réfugiés syriens très attachés à la musique traditionnelle de leur pays.

DUBAÏ ACCUEILLE L’ORCHESTRE DES JEUNES DE L’UNION EUROPÉENNE

Depuis sa création en 1976, l’Orchestre des jeunes de l’Union européenne (EUYO) s’est produit dans de grandes villes telles que New York, Moscou ou encore Shangaï. Les musiciens qui le composent ont entre 16 à 26 ans et viennent des 28 Etats membres de l’Union. Parler un langage musical commun demande de gros efforts.

« C’est comme un sport de haut niveau que nous devons vraiment pratiquer pour rester en forme. L’orchestre fait une ou deux tournées par an et nous répétons six heures par jour », explique Emma Van Schoonhoven, joueuse d’alto.

À la suite du 75e anniversaire de la mort du compositeur Sergeï Rachmaninov et sous la baguette du chef russe Vasily Petrenko, l’Orchestre des jeunes de l’Union européenne a fait salle comble dans de nombreuses villes des Emirats Arabes Unis.

Rebecca McLaughlin-Duane : Vasily Petrenko Bienvenue dans Inspire Middle East.

Vasily Petrenko : « Merci, c’est un Plaisir d’être ici. »

RMD : Permettez-moi tout d’abord cette question : c’est votre première fois dans la région. Vous avez joué à Abu Dhabi et maintenant à l’opéra de Dubaï. Que ressentez-vous ?

Vasily Petrenko : « Je sens que c’est un pays en pleine expansion, sous tous ses aspects. La croissance économique est très importante mais la croissance culturelle l’est tout autant. Et plus le pays s’ouvrira à l’international et au monde, plus il en retirera des avantages. »

RMD : Le président de l’UE a comparé votre orchestre aux meilleur ambassadeur qui soit pour l’Union européenne. C’est une responsabilité pour vous ?

Vasily Petrenko : « Oui, définitivement, c’en est une ! Je pense que l’union des jeunes Européens est un bon exemple de la façon dont les habitants de différents pays peuvent travailler ensemble pour un avenir prospère. En fin de compte, l’objectif de l’Orchestre des jeunes de l’Union européenne est de faire en sorte d’améliorer la vie des gens et des populations locales avec ce que nous faisons de mieux. »

RMD : Vous êtes basé depuis longtemps à Londres, mais pour cause de Brexit vous déménagez en Italie. Aviez-vous déjà vu cette situation ou art et politique se chevauchent ? Comment le vivez-vous ?

Vasily Petrenko : « La politique est la politique et j’ai toujours pensé qu’elle pouvait changer. Je suis né à Leningrad en Union Soviétique, une ville qui s’appelle aujourd’hui St-Saint-Pétersbourg. Après l’effondrement de l’Union Soviétique, la Russie a commencé à exister. La musique de Rachmaninov et celle de Chostakovitch ont survécu à tous ces changements politiques, alors moi, je place l’art au-dessus de la politique. L’art est éternel. »

RMD: Vous avez mentionné Rachmaninov et bien sûr l’orchestre joue certains de ses chefs-d‘œuvre. Quelle émotion ces derniers dégagent-ils ? Et peuvent-ils être comparés à d’autres grands classiques ?

Vasily Petrenko : « Rachmaninov est évidemment cher à mon cœur, c’est un peu ma patrie. Sa musique procure un sentiment de nostalgie. Il y a toujours en elle cette croyance en la gloire du pays. Rachmaninov avait un grand cœur et il transposait cette passion dans sa musique et dans le monde. »

ENTRETIEN AVEC LE DIRECTEUR DE L’OPÉRA DE DUBAÏ

En 2016, le ténor espagnol Plácido Domingo s’est produit en ouverture de l’Opéra de Dubaï. Depuis, le lieu a accueilli d’autres innombrables artistes célèbres et de nombreuses comédies musicales de Broadway. Nous avons rencontré Jasper Hope, le directeur de l’Opéra de Dubaï.

Si l’opéra est né en Italie au XVIe siècle, il n’est pas un phénomène nouveau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Le premier opéra construit dans la région a été l’Opéra Khédivial du Caire, en Egypte, en 1869. Mais il fut ravagé par un incendie le 28 octobre 1971.

En 2004, la Syrie a officiellement ouvert un opéra à cinq niveaux et un espace de performances. Depuis 2011, les amateurs de culture ont aussi investi L’Opéra Royal de Mascate, capitale du sultanat d’Oman.

L’Arabie saoudite est sur le point d’ouvrir son premier opéra à Djeddah. ll s’agit d’une première dans le royaume wahhabite, où les concerts et la musique dans les lieux publics sont interdits depuis deux décennies. Les architectes s’inspireront peut-être de l’Opéra de Dubaï qui a été pensé afin de pouvoir accueillir toutes sortes d’événements culturels et pas seulement musicaux. Sa particularité : 900 de ses 2000 sièges se réagencent via un système hydraulique.

Rebecca McLaughlin-Duane : Jasper, bienvenue dans Inspire Middle East.

Jasper Hope : « Merci beaucoup. »

RMD: Je suis impatiente de savoir ce que vous nous réservez pour la saison à venir.

Jasper Hope : « D’ici la fin de l’année, de nombreux opéras et ballets sont programmés. Nous avons des productions américaines, notamment un Lac des Cygnes extraordinaire présenté par le ballet de Houston. Mais aussi, en septembre, Carmen et la flûte enchantée qui seront donnés par l’Opéra national arménien. »

RMD: Combien de représentations arabe avez-vous prévues ?

Jasper Hope : « Nous sommes encore assez novices en terme de programmation arabe, mais le prochain spectacle doit avoir lieu dans quelques semaines. Il s’agit de différents groupes de musique indie, très bons dans leur domaine, et qui ne se sont jamais produit comme ils vont le faire ici. En fait, notre rôle est d’inspirer les talents émiriens. Peu importe le type de musique qui se joue sur scène. Si les gens peuvent assister à des performances internationales, de différents genres, semaine après semaines, j’espère vraiment que la prochaine génération d‘étoiles émiraties commencera à penser que ce lieu est un endroit où elle peut briller. »

RMD : Y a-t-il un talent émirati en terme d’Opéra, ici dans la région ? Et est-on obligé d’étudier l’opéra en Europe ou peut-on le faire ici ?

Jasper Hope : « Cela nécessite une formation vraiment très spécifique qu’il n’est pas facile de trouver ici dans les Emirats arabes unis, mais je suis sûr que ça le deviendra bientôt. Mais, à l’heure actuelle, il est préférable, pour travailler sa voix, d’intégrer des conservatoires ou des écoles de musique reconnus dans le monde entier puis de se produire dans ces villes. Je n’ai aucun doute, qu’un jour, nous aurons notre propre conservatoire, ici même à Dubaï, et que nous serons en mesure de présenter nos propres productions plutôt que de les faire venir de l’extérieur. »

RMD : « Ghost » arrive vers la fin de l’année – l’adaptation musicale du film bien sûr – Il parait que toute bonne salle de concert a son gentil fantôme. C’est déjà le cas pour l’opéra de Dubaï ?

Jasper Hope : « Pas encore, mais nous n’avons pas non plus de petits rats d’opéra. Nous pouvons changer tout ça. Laissez-nous juste un peu de temps. »

RMD : Qui pourrait être le fantôme approprié ? Quelqu’un comme Oum Kalthoum ?

Jasper Hope : « Ah oui, bien sûr, quelqu’un comme Oum Kalthoum, absolument, pourquoi pas ? »

LE TARAB POUR APPORTER DU BONHEUR AUX RÉFUGIES SYRIENS

Le tarab est un concept clé de la musique traditionnelle arabe et il est préservé par une troupe de musiciens syriens. Salim Essaid est allé à leur rencontre en Jordanie.

Emouvant, traditionnel et séduisant sont seulement quelques-uns des mots qui peuvent décrire le chant arabe connu sous le nom de « tarab » et ce n’est pas seulement la musique qui donne vie à cet art historique, c’est sa maîtrise dans son ensemble.

Pour le musicien Mustafa al Sagheer, le tarab ce sont des mots spécifiques mais aussi des mélodies, des instruments et des costumes traditionnels destinés à captiver l’auditeur et à le sortir de sa réalité.

« Le tarab crée une interaction avec le public, il l’attire et prend le contrôle des esprits. Rien ne distrait les spectateurs qui restent concentrés. Voilà pourquoi le public est touché. Vous le transportez dans le passé alors qu’il est témoin de la vie actuelle », explique Mustafa Al Sagheer.

Les chansons sont de la poésie transformée en une musique empreinte de romance et de nostalgie. Une balade peut durer jusqu‘à 10 minutes et l’un des aspects clé du tarab est d‘être fidèle à des siècles de tradition. D’où la robe datant de la période ottomane et l’Umbaz, ce châle noué autour de la taille. Le tout, couronné par le Tarbouch en feutre rouge.

Salim Essaid, euronews : L’une des spécificités du tarab est de faire vibrer émotionnellement le spectateur. Et cela a frappé un certain nombre de Syriens vivant dans le camp de réfugiés d’Azraq. Loin de chez eux, ils ont retrouvé leur pays grâce à la musique.

En 1992, Mustafa fonde une formation musicale en Syrie. Elle joue alors partout – en Allemagne, aux États-Unis, au Canada – et partage son héritage à travers la musique. Mais la guerre disperse les membres du groupe. Mustafa se retrouve alors seul. En 2012, il décide de recréer une troupe composée de Syriens et de Jordaniens : les « Sultans de Tarab », « Salateen Al Tarab », en arabe.

Mohannad Qasim est l’un des chanteurs de la troupe. Il vit dans le camp de Zaatari.

Comme la plupart des réfugiés eux-mêmes, les Sultans de Tarab veulent reconnecter les Syriens à leur culture traditionnelle.

« Nous sommes venus au camp de réfugiés d’Azraq pour donner du bonheur aux gens, pour leur faire sentir que la vie continue et que contre la souffrance, nous apportons la joie », dit Mustafa Al Sagheer.

Jameel Humeidi a 19 ans. Il vit dans le camp d’Azraq. Il écoutait du tarab pour la première fois.

« Aujourd’hui, quand j’ai écouté les musiciens du groupe, j’ai ressenti quelque chose d‘étrange. La musique, le son, l’air, ont fait naître en moi un sentiment bizarre. Je n’arrivais pas à me retenir. J’étais tout excité, j’ai commencé à applaudir puis j’ai crié et crié encore. Cette musique nous ramène au bon vieux temps, à notre enfance, même si je ne suis pas très vieux. **Elle me rappelle de lointains souvenirs **», raconte le jeune réfugié syrien.

Pour ces réfugiés, bien plus qu’un concert, cette parenthèse musicale dans leur quotidien a été un intermède dans leur lutte et une renaissance théâtrale de leur héritage.
Voir sur Africanews
>