L'unique société de textile du Niger asphyxiée par la concurrence asiatique

Machines à l’arrêt, employés au chômage technique, manque de repreneurs : la Société des Textiles du Niger (SOTEX), l’unique entreprise de production de textile du pays, est asphyxiée par des coûts de production élevés et l’invasion de tissus asiatiques bon marché.

La SOTEX a “suspendu” sa production depuis un an et “mis au chômage technique” ses 150 employés, rapporte à l’AFP son directeur général, Aboubacar Gourouzane. “Nous ne nous sommes pas encore déclarés en faillite”, assure-t-il : “il y a des démarches tous azimuts pour trouver un partenaire stratégique”.

Selon l’actionnaire unique de la société, l’homme d’affaires nigérian Abdoulaye Karda, des discussions ont eu lieu “sans succès” en octobre avec des investisseurs tunisiens, turcs et avec le réputé groupe hollandais Vlisco, grand producteur de wax, des tissus aux motifs multicolores très populaires en Afrique de l’Ouest.

Deux gardiens veillent sur l’usine déserte.

“Nous souffrons beaucoup de cette situation. Parmi les travailleurs il y en a qui ont deux à trois femmes, une dizaine d’enfants pour lesquels il faut trouver à manger, de quoi se soigner et les maintenir a l‘école”, témoigne l’un d’eux, présent depuis dix ans.

“Certains travailleurs sont partis au village pour cultiver, d’autres vivent aux crochets de leurs proches. Certains ont été chassés de leurs maisons faute de pouvoir payer le loyer”, raconte-t-il encore.

Pourtant, à son apogée au début des années 2000, la SOTEX produisait jusqu‘à 10 millions de mètres de tissu par mois. Elle disposait de galeries dans la capitale et exportait en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, Burkina Faso, se rappelle un ex-cadre de l’entreprise.

Ancienne société française implantée il y a 49 ans à Niamey, la SOTEX était devenue une entreprise d’Etat, avant d‘être privatisée et rachetée en 1997 par la China World Best, une compagnie chinoise. L’arrivée des Chinois avait permis de relancer la société, d’embaucher et de rénover une partie de son matériel désuet.

- ‘Coup de massue’ – En 2006, la SOTEX a survécu à la crise mondiale du coton grâce à un “plan de sauvetage” soutenu par le gouvernement du Niger qui lui concédait un régime fiscal bienveillant et des exonérations sur ses importations de matières premières. Ce plan était assorti d’une politique protectionniste “made in Niger” : augmentation de tarifs douaniers des produits asiatiques à bas prix et contrôles aux frontières pour freiner les importations du Nigeria, explique l’ex-cadre, qui préfère taire son nom.

Mais cette embellie prend fin en 2011 avec la fin des “privilèges” fiscaux et des exonérations douanières dont jouissait la société, explique son directeur général Aboubacar Gourouzane.

C‘était “un coup de massue” pour la SOTEX qui doit affronter “la concurrence asiatique” et “les difficultés” d’approvisionnement en matières premières, commente l‘économiste nigérien Idrissa Souley.

“On s’est retrouvés avec 40% de frais supplémentaires, rendant peu compétitifs nos produits”, précise le directeur général adjoint Chaïbou Oumarou.

Le chiffre d’affaires plonge : de 4 milliards de francs CFA (6 millions d’euros) par an au début des années 2000, à moins d’un milliard FCFA (1,5 millions d’euros)” en 2017, confirme Aboubacar Gourouzane.

Dans la foulée, la China World Best se retire en 2011 du capital de la société, qu’elle détenait à 80%.

En désespoir de cause, le gouvernement adopte fin 2016 un nouveau code des investissements pour tenter de remettre à flot l’entreprise, selon le ministère nigérien du Commerce.

L’homme d’affaires nigérian Abdoulaye Karda qui a repris la SOTEX exhorte “l’Etat nigérien à créer les conditions favorables” pour “attirer” de potentiels repreneurs.

Difficile cependant de relancer l’affaire, malgré la qualité reconnue des tissus SOTEX, face à la concurrence asiatique à bas prix.

Amina, une restauratrice, juge “les tissus SOTEX de meilleure qualité, mais juste un peu chers”.

Pour la plupart des Nigériennes à faibles revenus, les tarifs des textiles bas de gamme chinois, indiens et pakistanais qui inondent les marchés restent une véritable aubaine.

“C’est une situation déplorable, surtout de voir le personnel laissé-pour-compte”, s’indigne le secrétaire général de la Confédération démocratique des travailleurs du Niger, Djibrilla Idrissa. La SOTEX “a fait ses preuves, l’Etat nigérien doit donc se pencher sur son sort”.

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