En Egypte, chasse au dollar, dette et rationnement

Photo de billets de banque   -  
Copyright © africanews
KHALED DESOUKI/AFP or licensors

Retraits bancaires limités, rationnement et publicité pour les bienfaits nutritionnels des pattes de poulet : en Egypte, les dollars manquent et les ménages ne peuvent plus remplir leurs paniers.

Officiellement l' inflation atteint 18,7% mais "le pain que j'achetais à une livre est désormais à trois" , raconte à l'AFP Rehab, 34 ans.  "Mon mari gagne 6 000 livres par mois" (230 euros), "avant on tenait 30 jours avec ça, aujourd'hui on passe dans le rouge au bout de dix" , poursuit-elle.

Avec la majorité des biens importés et un bond de 8% des taux d'intérêt , tout a fondu : les galettes de pain, les fallafels, les bouteilles d'huile, les sachets de légumineuses et même les paniers à prix subventionnés des 70 millions d’Égyptiens considérés comme "pauvres" et donc détenteurs d'une carte de rationnement .

Au supermarché, des panneaux préviennent : "maximum trois sachets de riz" , "pas plus de deux bouteilles de lait" ou "une bouteille d'huile" .  Dans les journaux, le Conseil national de l'alimentation vante "les pattes de poulets, bénéfiques pour l'organisme et le portefeuille" .

Car la viande - surgelée et importée, deux fois moins chère que la viande fraîche - n'est "plus une option : elle est passée de 85 à 150 livres le kilo" , commente Rida, 55 ans, qui elle aussi refuse de donner son nom.

Cette matriarche peine à nourrir sa famille de 13 personnes : "je suis fonctionnaire et je fais des ménages dans un hôpital, mais même avec deux salaires il y a plein de choses que je ne peux plus acheter" , explique-t-elle à l'AFP.

Si les prix flambent, c'est aussi parce que les importateurs peinent à débloquer des dollars : actuellement, 7 milliards de dollars de produits sont bloqués dans les ports, selon les autorités. 

Et la désinformation prospère : les marques chinoises Realme et Oppo et même McDonald's sont régulièrement données sur le départ sur les réseaux sociaux.

Car, échaudées par l'hémorragie du début de la guerre en Ukraine , quand des investisseurs ont sorti des milliards de dollars, plusieurs banques limitent désormais les retraits en dollars à l'étranger et ont triplé les frais d'utilisation de la carte bancaire alors que chez les changeurs, les billets verts sont introuvables.

Même le très pro-régime Amr Adib s'est énervé dans son talk-show : "laissez au moins les Égyptiens en vacances retirer de l'argent pour leur taxi de retour !" .

Mais Le Caire est pris à la gorge : il n'a plus que 33,5 milliards de dollars de réserve contre 41 en février - dont 28 sous forme de dépôts des alliés du Golfe - et sa dette extérieure a plus que triplé en dix ans à 150 milliards d'euros.

L'Egypte a dévalué sa monnaie de 57% mais reste l'un des cinq pays les plus à risque de ne pas rembourser sa dette extérieure, selon Moody's .  Et les trois milliards de dollars du nouveau prêt du FMI pèsent peu : le seul service de la dette pour 2022-2023 s'élève à 42 milliards.

Le ministre des Transports a proposé une solution : faire payer le train en dollars aux touristes.  "Il me faut des dollars pour payer les trains importés. Ça arrange les touristes et moi aussi" , expliquait récemment Kamel al-Wazir .

Mais pour dégager plus d'argent, l'Etat veut privatiser tous azimuts. A tel point que l'opinion publique s'inquiète que l'Egypte perde sa souveraineté sur son joyau : le canal de Suez .

Il n'est "pas à vendre" a martelé le régime, mais le président Abdel Fattah al-Sissi , lui, aimerait piocher dans ses revenus - pour créer un fond qu'il gérera lui-même.  "L'argent, je sais comment le gérer, ne vous en mêlez pas" , lançait-il récemment.

Pour Stephan Roll , du German Institute for International and Security Affairs , l'Egypte s'endette pour "consolider (son) régime autoritaire" .

"L'armée, sur laquelle M. Sissi se repose, est le premier bénéficiaire : l'endettement extérieur protège ses revenus et ses biens et finance des méga-projets qui lui rapportent gros" puisque la plupart des grands travaux sont confiés au génie militaire, ajoute-t-il.

Loin des villes nouvelles et des trains électriques rutilants, Rehab voulait seulement acheter un manteau à sa fille pour l'hiver.  "Mais à 1 000 livres, j'ai dû renoncer" , dit-elle, les yeux embués.

À découvrir également

Voir sur Africanews
>