Inspire Middle East : rencontre avec la députée libanaise Paula Yacoubian

Cette semaine, Rebecca McLaughlin-Eastham nous invite à suivre une figure politique du Liban : une femme qui risque sa vie pour tenter d’améliorer, selon elle, une économie chancelante, et lutter contre la corruption au sein du gouvernement.

Députée libanaise fraîchement élue, Paula Yacoubian critique un système politique et ses agissements depuis des décennies. Nous avons passé une journée avec elle à Beyrouth, pour la rencontrer.

Dans ce numéro, également, nous prenons la direction de la Jordanie pour poursuivre notre série sur l‘émancipation des femmes dans la région, et découvrir comment leur milieu de travail évolue lentement, mais sûrement.

Paula Yacoubian représente, pour certains, l’avenir de la politique libanaise. C’est une personnalité très connue dans son pays. Ancienne présentatrice de télévision, elle a mené en exclusivité une interview mémorable du Premier ministre Saad Hariri en Arabie Saoudite en 2017 après sa démission surprise, sur laquelle il est ensuite revenu.

Exaspérée par ce qu’elle considère comme un schéma de gouvernement dépassé au Liban, elle s’est lancée dans l’arène politique. L’an passé, elle est devenue l’une des rares femmes à être élue, lors des premières législatives organisées dans le pays au cours des dix dernières années.

Rebecca McLaughlin-Eastham – Paula, après 25 ans de journalisme, vous avez complètement tourné le dos à ce métier, vous dites que vous avez perdu vos illusions, et la foi dans ce que vous faisiez. Est-ce toujours le cas ? Pensez-vous avoir perdu de l’influence en entrant en politique ? N’en aviez-vous pas plus, en vous adressant à des millions de gens face à la caméra ?

Paula Yacoubian – “Aujourd’hui, je fais de la politique parce que je pense que c’est là que je peux jouer un rôle plus important pour changer les choses. J’essaie juste de convaincre les gens qu’on peut construire autre chose, et qu’on mérite mieux que cela. Les gens ne savent pas comment ni pour qui voter. Soit ils restent à la maison, soit ils vont voter pour les mêmes personnes, en pensant que c’est différent parce qu’ils ont mis parfois de nouveaux visages, et ils pensent que c’est un vrai changement. Mais c’est le même dirigeant, le même parti, le même échec.

Les gens m‘écoutent, maintenant. Quand j‘étais journaliste, les gens m‘écoutaient aussi, mais d’une oreille, ce n‘était que des mots. Aujourd’hui, ils voient concrètement que je travaille, j’ai un discours, et un mouvement politique – pas un parti, mais j’ai un mouvement derrière moi et on essaie d’apporter du changement”.

Je voudrais qu’on parle de la politique dans la région au sens large, rattrapée par les tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Comment se dessinent les années à venir pour le Liban ?

“C’est très inquiétant, parce que ce pays est divisé. Je ne parle pas seulement des clivages sectaires, mais aussi des divisions dans toute la région.

Ce que j’essaie de dire aux gens, à chaque fois que je m’exprime publiquement, c’est que les autres Etats ne sont pas des ONG, qu’ils ont leurs propres intérêts ici, et qu’ils dépensent de l’argent parce qu’ils ont leur propre feuille de route. Mais notre plan d’action pour le Liban est prioritaire, il ne faut pas agir en fonction des autres, mais faire ce qui va dans l’intérêt de notre pays.

Grâce à leurs échecs, ils nous aident à toucher plus vite un public plus large et un public de toutes les religions. Je vous donne juste un exemple à propos des élections. Tous les partis ont été élus par leur base confessionnelle – les druzes ont élu des druzes et les chrétiens ont élu des chrétiens et les chiites ont élu des chiites. Nous sommes le seul mouvement politique à avoir été élu par 48 % de musulmans et 52 % de chrétiens, et ça ne s’est jamais produit auparavant dans le pays, pas depuis ma naissance”.

Pour sa campagne électorale, Paula avait pris pour slogan “Bikaffe !”, ou “trop, c’est trop”. Et dit en avoir “assez” de “suivre aveuglément de soi-disant dirigeants”, qui agissent selon leurs propres intérêts.

Parmi les difficultés économiques et sociales du Liban, figure le nombre record de réfugiés par habitant, qui est le plus élevé du monde. Le pays affiche aussi l’une des dettes les plus lourdes de la planète, qui flirte avec les 150 % du PIB.

Paula met en cause l‘élite politique du pays. Elle est déterminée à faire ce qu’il faut pour ses électeurs en s’attaquant aux nombreux défis que doit relever le Liban, notamment la crise des déchets qui affecte le pays depuis 2015, date à laquelle la plus grosse décharge de la capitale a fermé ses portes. Depuis, les rues croulent sous les monceaux de déchets toxiques, qui s’entassent et qui brûlent.

Nous nous sommes rendues à un endroit où vous vous rendez chaque semaine, un quartier défavorisé de Beyrouth. Le Liban est confronté à de nombreuses difficultés sociales : l’explosion du chômage, la crise de l‘électricité ou encore la gestion des déchets, un sujet qui vous tient particulièrement à coeur. Quelles solutions tentez-vous de mettre en oeuvre ?

“Ici, c’est l’un des quartiers les plus pauvres de Beyrouth et c’est là qu’ils ont l’intention d’implanter l’incinérateur pour la zone de Beyrouth. Et c’est quelque chose d’important au Liban aujourd’hui, parce qu’on a tendance à penser que les incinérateurs ne sont pas une bonne chose pour nous.

On n’a pas de dignité quand on voit des ordures partout dans les rues. Et on ne peut rien faire, à cause d’une mafia qui veut tirer profit de la crise des déchets”.

Mais avec un mouvement citoyen comme le vôtre, c’est un combat courageux. Comment affronter l’ancienne garde, l‘élite politique ? Vous n’avez pas peur ?

En ce moment, j’ai peur parce que je m’attaque à la mafia et je les frappe au portefeuille. Et quand vous touchez la mafia au portefeuille, c’est à partir de là que vous devez craindre pour votre vie. Donc, j’assume de faire ce que je fais, même si je sais que c’est dangereux. Si je deviens plus populaire, oui, ils vont finir par me tuer”.
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