Inspire Middle East : artistes et dessinateurs de presse se confient

Pour sa 12e édition, Art Dubaï a proposé un programme chargé d’expositions et d’ateliers. De nouvelles galeries, du Kazakhstan, du Ghana, du Nigeria, mais aussi d’Egypte, ou d’Arabie Saoudite ont fait leur apparition au festival.

Les visiteurs se sont pressés pour voir l’artiste suisse Karim Noureldin, connu pour ses dessins géométriques et abstraits. Inspire Middle East a eu la chance de le rencontrer.

Rebecca MacLaughlin Duane : Nous sommes assis ici, au milieu de vos installations, et celle-ci en particulier s’appelle “Du stylo au fil”. Cela veut-il dire que vous n’allez plus utiliser le stylo comme vous le faisiez habituellement ?

Karim Noureldine : Je ne suis pas un peintre. Je travaille d’habitude avec différentes techniques, avec le dessin sur le papier mais j’ai toujours aussi regardé de nouvelles techniques, des peintures murales, un travail sur les céramiques. Je suis toujours fasciné par la magie, même celle d’un tissu et je commence à m’aventurer là-dedans. J’ai trouvé les bonnes personnes avec qui j’avais envie de travailler. Elles sont en Inde et elles m’ont aidé à traduire mes dessins sur du tissu.

RLD : Vous avez deux jeunes enfants, j’imagine que c’est le rêve pour eux d’avoir un papa avec un grand studio et des centaines de crayons et de papiers. Que diriez-vous s’ils entraient dans le monde de l’art. Les encourageriez-vous à y penser ?

KN : Pas spécialement. Je veux dire, bien sûr ca fait partie de leur vie, ils aiment aujourd’hui venir au studio. Je crois que chacun peut trouver la bonne voie qui lui correspond. Si vous trouvez le chemin, et que vous pensez que cela correspond à votre rêve… c’est le but … si c’est dans la créativité... d’accord !

RMD : Quel serait votre réponse à des parents qui ne veulent pas que leurs enfants aient une carrière artistique et préfèrent qu’ils aient un travail traditionnel et un salaire fixe à la fin du mois ?

KN : C’est vrai, je veux dire, les choses changent. Vous savez, je suis un peu vieux, je vais avoir 50 ans, donc j’ai vu les dernières 20 années et comment les choses se sont développées. Ce n’est pas juste quelque chose qui tombe du ciel, vous allez travailler et c’est aussi un travail assez solitaire, donc il faut être préparé à cela… c’est une chose. Et la seconde, c’est que j’ai remarqué, que les gens qui veulent vraiment faire ca, y parviennent. C’est un business fou et ce n’est pas seulement un business. C’est un chemin compliqué et je dois reconnaître que je suis assez chanceux parce que j’ai réalisé mon rêve d’enfant; quand j’avais 15 ou 16 ans.

RMD : Laissez-moi rebondir sur quelques points dont vous venez de parler…ce n’est pas facile et c’est un travail solitaire… comment gérer vous cela et en particulier la solitude ?

KN : J’y suis habitué et je pense qu’elle fait partie de mon travail. Je suis dans mon studio, il fait beau, j‘écoute de la musique. Je fais juste ce que j’ai toujours voulu faire et je peux en vivre. Donc c’est merveilleux, et la solitude, vous savez, je pourrais dire “ok je suis seul et je ne veux pas l‘être, les gens me manquent, mais en fait c’est génial ! Je suis au centre de tout. Je détestais la solitude quand j‘étais plus jeune parce que je me disais, “personne ne va m’appeler, personne…” mais maintenant les choses ont évolué vers quelque chose de très positif. J’ai toujours été clair avec ca. C‘était mon souhait, mon rêve et vous savez, ca a l’air de fonctionner donc je vais continuer.

RMD : Et où puisez-vous votre inspiration?

KN : Puisque je suis un abstrait, je m’intéresse à ce monde, aux tissus, à la mode ou au design, à des choses comme l’architecture, bien sûr. Mais ce sont mes racines et c’est là où je vais spontanément en regardant les choses. Je dois être informé et curieux mais ma source d’inspiration est plus large. J’essaie d’aller dans chaque jardin botanique de chacune des ville que je visite, c’est mon projet et je le suis. J’aime aussi beaucoup l’art et l’artisanat; la poterie, le textile, les cultures ethnographiques, j’aime voir ce qui se passe en Amérique latine, en Afrique,en Inde, au Moyen-Orient. Nous sommes tous des humains donc les choses s’accordent. On trouve des similitudes en dépit des continents qui nous séparent. Donc mon inspiration ne vient pas de l’art, elle vient sûrement d’une approche plus large”.

L’art satirique en Jordanie

Aujourd’hui, l’art est utilisé par certains créatifs en Jordanie pour faire passer un message social et satirique. Latif Fityani est un dessinateur qui fait partie d’une nouvelle génération qui se sert d’un écran et dessine en direct à la télévision. Le dessin politique au Moyen-Orient est un art qui remonte à la fin du XIXè siècle mais en tant qu’artiste émergent Latif Fityani trace sa propre voie. Contrairement à la caricature, les proportions du corps semblent naturelles et c’est seulement l’idée de la bande dessinée qui est exagérée. Et ca ne doit pas nécessairement être drôle. Par exemple l’addiction au téléphone est un problème de société majeur en Jordanie et un point central de l’art de Latif Fityani.

Les réseaux sociaux lui ont permis de toucher un public plus large, même au niveau international. L’un de ses dessins a été utilisé par des éducateurs à Singapour pour parler aux enfants de l’addiction au téléphone portable.

Le dessin dans le monde arabe a considérablement changé ces dernières années et ce n’est pas seulement grâce aux digital et aux réseaux sociaux. C’est aussi la culture autour du dessin qui a changé.

“Le rêve est devenu réalité pour les dessinateurs arabes”

Nous avons pu rencontrer Emad Hajaj, dessinateur jordanien qui travaille depuis plus de 25 ans. Il est connu pour ses dessins politiques et reconnu pour son personnage populaire Abu Mahjoob qui est une représentation du Jordanien moyen qui fait face aux problèmes sociaux avec humour. On pourrait l’appeler le Homer Simpson de Jordanie. Emad l’a créé au début des années 90 pour surmonter la censure sur les médias.

“C’est l’une des principales caractéristiques de la bande dessinée arabe. Avoir ces codes visuels secrets pour contourner cette censure et j’ai été frappé de voir à quel point les gens aimaient ça et en avaient vraiment besoin”, explique Emad Hajaj.

Mais maintenant avec les réseaux sociaux, les choses sont en train de changer. Plusieurs sites internet ont démocratisé la bande dessiné. en particulier depuis 2011. “C’est comme si le rêve était devenu réalité pour les dessinateurs arabes de voir cet art exploser partout. Je sais, (le) printemps arabe est devenu décevant, mais la bande dessinée arabe ne l’est pas. A chaque fois que je rencontre un jeune dessinateur je suis très fier et vraiment impressionné”, conclut-il.
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