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France : dans la galère quotidienne des travailleurs sans-papiers

France : dans la galère quotidienne des travailleurs sans-papiers
Des demandeurs d'asile originaires de pays d'Afrique de l'Est - principalement du Soudan - se réchauffent autour d'un brasero   -  
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CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP or licensors

France

Il est 4h05, une masse jaune fluo s'engouffre dans un bus de nuit, en banlieue parisienne. Mohamed Traoré, sans-papiers, travaille à l'arrière d'un camion-poubelle. Sa tenue d'éboueur lui permet de passer entre les gouttes des contrôles d'identité : dans quelques minutes, il doit pointer au dépôt.

Le Malien de 38 ans, barbiche et carrure de boxeur poids lourd, fait partie de ces ouvriers dont la possible régularisation enflamme le débat politique, depuis l'annonce d'un projet de loi immigration comprenant un titre de séjour "métiers en tension".

En une décennie de clandestinité, Mohamed Traoré a œuvré dans tous les secteurs qui recrutent sans déclarer. Depuis trois ans, il est ripeur, accroché au camion-benne d'un géant de la propreté. Une agence d'intérim le reconduit de semaine en semaine.

A la descente du N45 à Bondy (Seine-Saint-Denis), il apprend qu'il ne travaillera pas ce lundi matin d'octobre. Décision du chef. Pas de paye pour cette journée.

"Comme leur chien"

"Quand tu es sans-papiers, les patrons en profitent, tu es comme leur chien. S'ils ont besoin de t'utiliser, ils t'utilisent. Sinon, ils te laissent de côté. De toute façon, tu n'as pas le choix, tu vas revenir, tu es dans leur cage", expose le natif de Bamako.

Comme beaucoup, il travaille avec les papiers d'un autre, en l'occurrence d'un "tonton". Cela s'appelle travailler "sous alias". Son patron le sait-il ? "Bien sûr qu'il sait ! Le tonton a 53 ans, on n'a pas vraiment la même tête", s'exaspère-t-il.

La situation l'amuserait presque, si elle ne faisait pas "mal". Mohamed Traoré a eu "espoir" d'être régularisé en 2020, pendant la crise du Covid, lorsque les Français applaudissaient ces "premiers de corvée".

Obtenir des papiers lui permettrait de ne plus reverser 30% de son salaire (entre 1 000 et 1 400 euros) à son alias, quitter sa chambre payée 300 euros dans une colocation surpeuplée, revoir sa famille au Mali. Bref, d'en "finir avec la galère". Son employeur ne veut pas en entendre parler.

Subordination

C'est pour briser cette relation de "subordination" entre l'employé et l'employeur que le projet de loi (dont l'examen parlementaire doit débuter le 6 novembre) ouvre la possibilité pour un travailleur sans titre de déposer seul sa demande.

Reste à savoir quels emplois seront couverts par cette liste de métiers en cours de révision, observe Jean-Albert Guidou, responsable du sujet à la CGT.

"Si la liste est restrictive, on se retrouverait avec des travailleurs qui n'auraient plus aucune issue, sauf à changer de profession", s'inquiète le syndicaliste, alors que 7 000 à 10 000 personnes sont régularisées chaque année par la circulaire Valls de 2012.

En Ile-de-France, cette main d'œuvre représente plusieurs centaines de milliers de personnes, estime la CGT.

Electrochoc

"Il faut un électrochoc, pour trouver un système qui régule les choses. On a besoin de jeunes gens qui veulent faire des métiers que nos concitoyens ne veulent plus faire", juge Manuel Heurtier, 65 ans, chef restaurateur à Montrouge (Hauts-de-Seine).

L'homme est en colère. En 40 ans de métier, il a vu défiler dans ses cuisines un condensé de l'histoire récente de l'immigration : Maghrébins, Sri Lankais, Africains... Il a observé, aussi, "l'usine à gaz" administrative, les bâtons dans les roues des restaurateurs, qui peinent pourtant à embaucher.

Cela fait désormais cinq ans qu'il accompagne la quête de papiers de son second de cuisine, Amadou Ba, Sénégalais de 27 ans. "C'est de l'or, ce mec. Ponctuel, sérieux, gentil", résume le patron du Mendi Gorria, en se frottant frénétiquement les mains et les avant-bras de citron, après le service du midi.

"Si le chef ne m'aidait pas, j'aurais craqué", confie Amadou Ba, mains tremblantes et couvertes de brûlures. Timide, fluet dans sa veste de cuisine blanche, le Sénégalais qui avait commencé à la plonge il y a cinq ans est titulaire d'un CDI, cumule une soixantaine de bulletins de paie (80 suffisent pour la procédure). Il ne "comprend pas" pourquoi son dossier a été refusé ou perdu, trois fois.

"Tant que tu n'as pas les papiers, tu n'as pas de droits : ni chômage, ni retraite, ni vacances...", lâche-t-il.

Il y a quelques semaines, des députés de la majorité, réunis dans le restaurant, ont échangé avec lui. Le 12 septembre, cette improbable rencontre a été immortalisée par une photo, publiée par Libération. La préfecture l'a appelé dans la foulée : son dossier a été retrouvé. Amadou Ba hausse les épaules. Les cuisines du pouvoir...

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