Nigéria
Chefs religieux et responsables politiques du nord du Nigeria déploient des efforts considérables pour parvenir à une résolution diplomatique de la crise au Niger et prévenir ainsi une intervention militaire de la CEDEAO aux conséquences potentiellement désastreuses pour leurs régions.
Après les échecs de deux missions de médiation lancées par le bloc ouest-africain, dont les émissaires n'ont pas été reçus par le nouvel homme fort du Niger le général Abdourahamane Tiani, la CEDEAO a accentué sa pression sur le régime militaire.
Tout en disant continuer de privilégier la voie du dialogue, ses dirigeants ont donné jeudi leur feu vert à une intervention armée à venir, en activant sa "force en attente".
Mais alors que les négociations entre la CEDEAO et le nouveau régime au Niger semblent au point mort, d'autres s'activent pour établir un canal diplomatique entre le général Tiani et le chef d'Etat du Nigeria, Bola Tinubu, qui assure la présidence en exercice de la CEDEAO.
Ainsi, deux délégations de chefs religieux du nord du Nigeria - avec qui le Niger entretient des liens culturels, économiques et linguistiques forts - ont réussi à s'entretenir avec le général Tiani à Niamey.
D'abord mercredi, avec l'ancien émir de Kano Sanusi Lamido Sanusi, qui a porté les revendications du général Tiani auprès du président Tinubu à son retour à Abuja.
Puis samedi, avec le Sheikh Bala Lau, chef d'un mouvement islamique d'inspiration salafiste, dont la mission de médiation a été menée en accord avec le président nigérian. A l'issue de la rencontre, le Sheikh a rapporté que le régime militaire s'était dit ouvert à un dialogue, laissant espérer un début de négociation avec Abuja.
Avant leur départ respectif pour Niamey, ces deux personnalités, qui jouissent d'une importante influence dans le nord du Nigeria mais aussi au Niger et au Sahel, avaient publiquement exprimé leur aversion pour une intervention armée.
Des prises de position qui ont probablement pesé dans la décision du général Tiani de les recevoir. De son côté, le président Tinubu, qui avait adressé un discours très ferme aux militaires au lendemain du coup et est parfois perçu au Niger comme un fervent partisan de l'option militaire, fait l'objet depuis 10 jours d'importantes pressions en provenance du nord du Nigeria.
D'abord des chefs religieux, qui ont multiplié les appels à une résolution pacifique, mais aussi des responsables politiques, notamment les 58 sénateurs des régions du nord du Nigeria.
Le 5 août, ils avaient mis en garde Abuja : un recours à la force aurait selon eux de "graves implications" pour le Niger mais aussi le Nigeria, dont sept États partagent une frontière de 1 500 km avec le Niger.
Ils disaient également s'inquiéter de voir une intervention déstabiliser davantage ces régions extrêmement pauvres et déjà sous le joug de groupes armés djihadistes ou criminels.
Le 9 août, c'est un groupe d'universitaires, d'officiers à la retraite et d'hommes politiques du nord qui écrivaient une lettre ouverte au président nigérian. Selon eux, cette intervention "exacerberait" les problèmes sécuritaires du nord du Nigeria, notamment l'insurrection djihadiste, les conflits entre agriculteurs et éleveurs et les enlèvements de masse, "par la circulation des armes et la propagation de l’extrémisme violent".
En outre, elle pourrait aggraver "la grave crise humanitaire" dans le nord - avec déjà des millions de personnes déplacées et en insécurité alimentaire selon l'ONU - en raison des déplacements de populations que l'intervention entraînerait.
Ces déclarations s'accompagnent d'un début de mécontentement populaire. Vendredi, des centaines d'habitants d'un quartier de Kano (plus grande ville du nord) sont descendus dans la rue pour protester contre cette éventuelle intervention.
Brandissant des drapeaux nigérians et nigériens, les manifestants ont scandé des slogans anti-français, accusant la France d'avoir incité le Nigeria à entrer en guerre contre le Niger.
Dans la même ville, les commerçants déplorent la baisse de la fréquentation depuis la fermeture des frontières et les sanctions économiques de la CEDEAO. "Nos clients du Niger, du Bénin et de l'Afrique centrale ont cessé de venir ici acheter nos marchandises", s'agace Shamsu Bala, un négociant en textiles du marché Kantin Kwari.
La fermeture des frontières fait perdre chaque semaine au nord du Nigeria 13 milliards de nairas (15,5 millions d'euros), selon une étude de l'Arewa Economic Forum, un centre de réflexion. Alors pour M. Kwari "une guerre ne fera qu'aggraver la situation".
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