Sénégal
Au Sénégal, vidéos et témoignages se multiplient : des hommes en civil sont descendus de pick-ups, armés, et ont chassé des manifestants lors des troubles ayant suivi la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko.
Samedi, un pick-up blanc est entré dans le quartier de Guinaw Rails Nord, dans la banlieue de Dakar, avec "une douzaine de personnes armées" et en tenue de ville à bord, raconte Ndery Niang, un vendeur de moutons qui a assisté à la scène. "Ils détenaient une liste de jeunes qui selon eux faisaient partie des manifestants et ils se sont lancés à leur poursuite".
Au moins trois jeunes du quartier avaient été tués la veille. La vidéo montrant Bassilou Sarr, 31 ans, tué d'une balle dans la tête selon plusieurs témoins, a été diffusée dans la zone.
Un autre témoin qui tait son nom parce qu'il craint pour sa sécurité confirme le récit de Ndery Niang. "J'ai la haine et j'ai peur", admet-il, "on sait qu'il y a des taupes".
Part de mystere
Les violences qui ont secoué le Sénégal du 1er au 3 juin comportent une part de mystère, à commencer par les circonstances dans lesquelles 16 personnes ont été tuées et par qui. Pouvoir et opposition montrent du doigt le camp d'en face. Différents témoins rencontrés par l'AFP rapportent en tout cas la présence dans les heurts d'hommes porteurs d'armes et non identifiables.
Un jeune homme interrogé à l'hôpital où il a été admis après avoir été blessé à Pikine, un des foyers de l'éruption, également dans la banlieue dakaroise, a raconté s'être retrouvé au milieu des heurts alors qu'il circulait en charrette.
"J'ai vu un jeune à terre, blessé. Je me suis arrêté et c'est là que j'ai vu une dizaine d'hommes en civil qui pourchassaient les manifestants", dit-il. "Ils portaient des armes à feu ou des armes blanches".
Confrontation politique
Il a reçu une balle derrière la cuisse. Le tireur a été identifié par d'autres comme un lutteur, dit-il. Les adeptes de la lutte traditionnelle ont déjà été mis en cause par le passé pour jouer les hommes de main dans les contextes de confrontation politique.
La violence a éclaté après la condamnation de M. Sonko à deux ans de prison ferme dans une affaire de mœurs. Il est en l'état actuel inéligible pour la présidentielle de 2024.
Les pro-Sonko accusent le camp présidentiel d'avoir payé des "nervis" se déplaçant en pick-ups pour prêter main forte aux policiers et gendarmes et mater les contestataires. Policiers et gendarmes ont eux-mêmes été accusés de brutalités par les défenseurs des droits. Des images à l'authenticité non confirmée ont circulé montrant des policiers utilisant des civils comme boucliers humains pour se protéger contre les projectiles.
La bataille des images fait rage
Le gouvernement et la police ont montré des images d'hommes armés qu'ils affirment être des manifestants. Le gouvernement met en cause "des forces occultes", "des étrangers" qui veulent déstabiliser le pays, sans plus de précision.
Interrogé par l'AFP, Maham Ka, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, indique que certains policiers travaillent en civil mais ajoute ne pouvoir en dire plus pour des raisons de sécurité. "Je ne connais pas ces personnes dans les pick-ups. Je ne peux pas confirmer qu’ils travaillent avec la police", dit-il.
Dans le passé, les hommes politiques ont recruté des hommes de main pour leur protection, fait observer Ibrahima Bakhoum, analyste politique. "Le paysage politique sénégalais a toujours été violent mais cette violence n’a jamais atteint le degré actuel. On voit maintenant des véritables gangs recrutés dans les quartiers par des gens qui en ont les moyens", déclare-t-il.
Plus d'une dizaine de pick-ups blancs étaient stationnés samedi à Dakar devant le siège du parti présidentiel, l'Alliance pour la République.
Empêcher les casseurs
Des dizaines de jeunes en sont venus aux mains dans le bâtiment pour recevoir de l'argent. Deux d'entre eux ont dit à l'AFP être payés pour empêcher les manifestants de casser, mais disent ne pas être armés.
Amnesty International cherche à authentifier les multiples vidéos mettant en scène des individus armés et en civil, dit Samira Daoud, la directrice régionale de l'ONG. Ils "agissent souvent aux côtés ou sous les yeux des forces de sécurité", dit-elle. Ils circulent dans les mêmes modèles de véhicule que ceux observés devant l'APR, note-t-elle.
Elle réclame des investigations car "la chaîne de responsabilité doit être clairement établie".
Le gouvernement a dit avoir ouvert des enquêtes sur les évènements. Il avait annoncé des investigations après l'accès de fièvre de mars 2021, déjà autour de la personne de M. Sonko. Il y avait eu au moins 12 morts. Les défenseurs des droits disent attendre toujours les résultats.
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