Soudan
Dans les rues de Khartoum, la guerre pour le pouvoir oppose deux généraux. Mais en réalité de bien plus nombreux acteurs sont impliqués, car les deux camps ont tissé un réseau d'alliés - et d'ennemis - politiques, économiques et diplomatiques dans une région en plein chamboulement.
Le Soudan a de longue date été courtisé pour ses ressources et son emplacement stratégique sur la mer Rouge. Aujourd'hui, Russes et Emiratis ont la haute main sur les ports. Et surtout sur le sous-sol gorgé d'or, largement tenu, selon les experts, par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).
Leur patron, Mohamed Hamdane Daglo dit "Hemedti", est depuis samedi en guerre contre le commandant de l'armée, Abdel Fattah al-Burhane. Lors du putsch en 2021 les deux hommes avaient fait front commun pour évincer les civils du pouvoir, mais depuis des décennies ils ont chacun leurs propres alliés et sources de revenus.
Côté Hemedti, l'or - le Soudan est le 3e producteur d'Afrique - en est une. Cette manne alimente les mercenaires russes de Wagner, accuse Washington, mais aussi les Emirats, premier acheteur d'or soudanais. Malgré ces liens, Abou Dhabi agit "avec un pragmatisme qui confine à l'indifférence cynique", souligne un spécialiste du Golfe sous le couvert de l'anonymat.
"Si la guerre dure, ce n'est pas forcément mauvais du point de vue des Emirats ou de la Russie. Les Emirats pourraient garder leur influence, ce qu'ils ne pourraient pas faire avec un pouvoir structuré et une armée sans rival", décrypte ce chercheur. Et Moscou partage "ces techniques et ces façons de commercer".
Mais Hemedti a su se rendre indispensable auprès de nombreuses autres capitales. La sienne, d'abord : il est parvenu à intégrer le premier cercle à Khartoum en menant pour l'ancien président déchu Omar el-Béchir la sanglante guerre du Darfour avec ses milliers d'hommes.
Puis, il les a envoyé combattre - alors conjointement avec l'armée soudanaise - aux côtés des Saoudiens et des Emiratis au Yémen en 2015. Certains de ses mercenaires seraient aussi en Libye, rapportent des experts.
Et, près d'un an après le putsch, il disait bénéficier d'une "formation technique de l'Italie" pour lutter contre l'immigration clandestine. Car son bastion, le Darfour, est aux confins du Soudan et de la Libye - grand point de passage vers l'Europe - et du Tchad.
Dans ce désert, "Hemedti va utiliser ses contacts pour sécuriser un canal d'approvisionnement" car le Sahel est "inondé d'armes et de munitions, depuis la chute de Mouammar Kadhafi en Libye", affirme Eric Reeves, chercheur au Rift Valley Institute.
En face, l'armée peut aussi rappeler au Golfe qu'elle a envoyé ses hommes au Yémen. Le général Burhane est également le grand artisan de la route vers la normalisation avec Israël. Et, surtout, passé par l'académie militaire égyptienne, il peut compter sur un ex-maréchal sorti de la même école, le président Abdel Fattah al-Sissi.
L'Egypte, rappelle Mirette Mabrouk, chercheuse au Middle East Institute, partage "1 200 km de frontière, les eaux du Nil et des questions de sécurité" avec le Soudan. Elle accueille aussi sur son sol "entre trois et six millions de Soudanais".
Surtout, Le Caire subit déjà les "ramifications" des combats au Soudan, rappelle-t-elle. Plusieurs de ses soldats - des "formateurs" selon M. Sissi - ont été "capturés par les FSR" et "elle négocie leur retour".
Pour le chercheur Clément Deshayes, "la présence de soldats égyptiens à Méroé semble avoir été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase". "Hemedti s'est senti menacé par l'Egypte", explique-t-il à l'AFP, alors que quelques semaines plus tôt, Le Caire accueillait un dialogue politique entre des forces soudanaises majoritairement pro-armée.
"L'Egypte a essayé de faire échouer la transition démocratique", accuse le chercheur, "en invitant des partis de l'ancien régime pour des discussions parallèles", alors qu'à Khartoum, ONU, Union africaine et capitales occidentales et du Golfe tentaient d'obtenir la signature d'un accord pour faire revenir les civils au pouvoir.
Aujourd'hui, la communauté internationale qui a déjà coupé son aide lors du putsch ne semble plus à la manœuvre, dépassée par les poids lourds africains et arabes. En amont du Nil, là où se construit le Grand barrage de la Renaissance, on préfère se laisser le temps.
Déjà à couteaux tirés avec les Egyptiens, "la dernière chose que les Ethiopiens veulent serait de se mettre à dos les généraux qui participeront aux négociations finales sur le barrage", affirme M. Reeves. Car Addis Abeba, comme "beaucoup d'acteurs régionaux et mondiaux ont tissé des liens avec toutes les parties au Soudan", assure le think-tank Soufan Center. Au cas où.
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