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Une bactérie, des croyances et un village ivoirien qui pleure ses enfants

Dorothée Kouame Ahou (G), grand-mère d'un des 20 enfants décédés d'une mystérieuse maladie, est réconfortée dans le village de Kpokahankro, près de Bouaké, le 10 février 2023   -  
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ISSOUF SANOGO/AFP or licensors

Côte d'Ivoire

Dans la nuit, mon petit-fils s'est senti mal, le matin il était mort". Ces deux derniers mois, une vingtaine d'enfants de Kpo-Kahankro, dans le centre de la Côte d'Ivoire, sont subitement décédés. Entre croyances mystiques et contamination bactérienne, l'inquiétude perdure dans le village.

"En une nuit, mon petit-fils a été emporté. Un enfant qui avait un an et quelques mois et qui marchait à peine", confie Amena Djaha à l'AFP, encore incrédule. Assise sous un grand manguier, dans ce village proche de la ville de Bouaké, cette grand-mère qui s'exprime en langue baoulé, se remémore, le regard vide, cette funeste nuit de décembre.

A Kpo-Kahankro, le 2 décembre, six enfants se sont soudainement mis à vomir, à se raidir, les yeux révulsés avant de mourir brutalement en quelques heures.

Fin janvier, à peine le choc retombé dans le village, une quinzaine de personnes, une majorité d'enfants et quelques personnes âgées, meurent subitement dans les mêmes circonstances. Des dizaines de villageois sont hospitalisés à Bouaké.

"Les gens sont venus frapper à ma porte et criaient +l'histoire recommence+", se rappelle Dorothée Kouamé Ahou. Une larme roule sur sa joue lorsqu'elle raconte comment, elle aussi, en une nuit, a perdu sa petite-fille de trois ans.

"Je n'ai même pas pu revoir ma petite princesse depuis sa mort. Elle me manque", explique la jeune grand-mère de 46 ans.

"C'est quelque chose de mystique", assure le chef du village, Nanan Koffi Patrice.

"Charlatanisme"

A Kpo-Kahankro, la question ne fait aucun doute: c'est un fétiche, un objet aux pouvoirs mystérieux, chez François Kouame Kouadio, un notable du village, qui est à l'origine des malheurs qui frappent la communauté.

Une thèse reprise jusqu'au tribunal de Bouaké qui a condamné jeudi, après deux heures d'audience, M. Kouadio et le "féticheur" accusé d'avoir installé l'objet, à cinq ans de prison pour des "faits de charlatanisme et troubles à l'ordre public".

Face à la crise, des membres du gouvernement se sont déplacés à plusieurs reprises à Kpo-Kahankro. Le fétiche a été sorti de terre début février et des autopsies menées sur certains cadavres qui n'ont toujours pas été rendus à leurs familles.

Pour les autorités, il s'agit d'une contamination au clostridium, une bactérie qui aurait été retrouvée sur le fétiche et qui peut provoquer des symptômes sévères sur les enfants et personnes âgées. Le bilan officiel est de 16 morts, les villageois en comptent eux 21, dont 18 enfants.

Une conclusion qui convainc les villageois, sans dissiper toutes les zones d'ombre.

"Je suis contente que le fétiche ait été déterré, c'est ça qui a tué nos enfants", estime Amena Djaha.

"Mais mon petit-fils n'a jamais été en contact avec cet objet. Il marchait à peine et ne sortait jamais de la cour", poursuit celle qui habite à plusieurs centaines de mètres du point de contamination.

"On a peur"

Les villageois sont tous formels: il n'y a eu aucune cérémonie autour du fétiche réunissant les enfants ou les personnes tombées malades par la suite.

Alors comment la contamination au clostridium a-t-elle pu se propager chez autant d'enfants dans le village?

"Il suffit qu'un enfant ait été en contact avec la bactérie puis qu'il mette ses mains à sa bouche pour tomber malade. Il peut contaminer des jouets, des objets et donc d'autres enfants", explique Joseph Bénié Bi Vroh, directeur de l'Institut national de l'hygiène publique (INHP) qui a supervisé les analyses.

En attendant, face à cette mystérieuse épidémie, le village dont l'école avait fermé et qui s'était vidé de ses habitants, se repeuple peu à peu.

La semaine dernière, le fétiche a été déplacé hors de Kpo-Kahankro. L'eau courante, coupée pendant plusieurs jours pour mener des analyses complémentaires, a été rétablie jeudi.

Depuis, les morts se sont arrêtées, sans toutefois dissiper totalement l'angoisse des villageois.

"Bien sûr qu'on a peur! Il y a eu presque un mois de +relâche+ entre les deux évènements où il y a eu des décès", rappelle Paul Kouassi, le président d'une association de jeunes du village.

Et le chef du village de soupirer: "Je prie pour que ça ne revienne pas. Nos enfants ne sont même pas encore enterrés".

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