Ethiopie
Beniam Yetbarek ne savait même pas que son cousin était en vie lorsque le téléphone a sonné la veille de Noël, et qu'une voix qu'il n'avait pas entendue depuis deux ans lui est parvenue depuis le Tigré.
Les appels à des proches dans cette région du nord de l'Ethiopie étaient pratiquement impossibles depuis novembre 2020, lorsque services téléphoniques et internet ont été largement coupés au début de la guerre.
Mais après la signature d'un cessez-le-feu en novembre 2022, les téléphones ont recommencé à sonner, apportant joie mais aussi chagrin et colère alors que les Tigréens comme Beniam renouent avec leurs proches qui ont souffert de l'un des conflits les plus meurtriers au monde.
"Ma première réaction a été Dieu merci tu es vivant. Je ne sais pas comment il a survécu ces deux dernières années, mais je suis juste heureux qu'il soit en vie", se remémore Beniam Yetbarek, photographe de 30 ans basé à Seattle.
Mais son soulagement fut de courte durée.
Peur et faim
La famille de Beniam était suspendue à chaque mot du récit du cousin évoquant la peur et la faim qui ont tiraillé la population à Aksoum, la présence des troupes érythréennes dans les rues ou l'état de santé d'un oncle diabétique incapable de trouver des médicaments.
Au milieu de la conversation, la famille a appris qu'une grand-tante était morte et qu'un autre cousin était porté disparu. Et présumé mort.
"Ça nous a tous abattus", se souvient Beniam. "Ma tante a pleuré, deux de mes cousins sont restés silencieux... Nous avons tous essayé de nous ressaisir (...) mais une fois qu'il a raccroché, nous avons prié en silence".
Les services téléphoniques ont été brièvement rétablis dans certaines parties du Tigré, région de six millions d'habitants, début 2021 avant d'être à nouveau coupés en juin de la même année.
Les lignes téléphoniques ont repris vie en décembre 2022, un mois après qu'un cessez-le-feu a mis fin à un conflit qui, selon les estimations, a fait entre 100 000 et un demi-million de morts.
A Mekele, capitale de la région, de nombreux habitants ont afflué dans les magasins de téléphonie pour reconnecter leurs anciens numéros. "Ma mère a pleuré après avoir entendu ma voix après tant de mois. J'ai aussi pleuré", a déclaré à l'AFP, sous couvert de l'anonymat, un homme de 42 ans à Addis Abeba, la capitale éthiopienne.
Soldats érythréens
Tous n'ont pas eu la chance de recevoir de bonnes nouvelles.
"Ils l'ont tué juste devant sa maison", raconte Meharit Gebreyesus à propos de son oncle, l'un des sept membres de sa famille exécutés, selon ses proches, par des soldats érythréens près d'Adwa fin octobre.
Le chef de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, d'origine tigréenne, avait lui-même dit avoir perdu un oncle, tué par des soldats érythréens.
Les accès au Tigré étant restreints, il est impossible pour l'AFP de vérifier de manière indépendante la situation sur le terrain. Mais tous les belligérants au conflit ont été accusés par des observateurs indépendants d'avoir commis des atrocités.
Pour Beniam Yetbarek, le plus dur était de ne pas connaître le sort de sa famille à Aksoum, où des centaines de civils ont été massacrés en novembre 2020.
"Je ne souhaiterais pas (ce que j'ai vécu) ces deux dernières années à mon pire ennemi", dit-il. "L'angoisse vous brûle à petit feu".
Une femme tigréenne de 25 ans, qui a requis l'anonymat, a déclaré à l'AFP avoir été "sans voix" lorsque sa sœur l'a appelée à l'improviste depuis Shire, une ville lourdement bombardée en octobre, pour dire que la famille était en sécurité.
"Je n'arrive pas à croire qu'aujourd'hui, j'en sois réduite à rêver de pouvoir parler à des membres de ma famille (juste pour savoir) s'ils sont encore en vie ou non", soutient-elle.
Calendrier
Deux mois après l'accord de paix, les télécommunications sont encore balbutiantes, même dans les grandes villes, et les appels se coupent souvent au bout de quelques minutes. Voire n'aboutissent pas du tout.
"Sans exagérer, nous avons dû essayer d'appeler plus de 100 fois, et un seul coup de fil est passé", a rapporté une femme de 40 ans qui s'est entretenue avec ses parents le 3 janvier pour la première fois en 18 mois.
La compagnie nationale d'électricité a annoncé mardi le retour du courant dans tout le Tigré d'ici deux semaines.
Une porte-parole du Premier ministre Abiy Ahmed a déclaré à l'AFP que les infrastructures critiques avaient été réparées et les services de télécommunications rétablis dans 51 villes, mais n'a pas évoqué de calendrier pour la reprise complète des services.
Contacté, Ethio Telecom, l'opérateur public, n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP.
Meharit, quant à elle, ne peut toujours pas joindre son père de 65 ans ni ses six sœurs à Negash, dans le sud du Tigré, et prie pour qu'ils décrochent. "Je ne sais même pas s'il est vivant ou non", se lamente-t-elle.
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