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France : premier procès pour "contestation du génocide rwandais"

France : premier procès pour "contestation du génocide rwandais"
Une vue générale du Mémorial du génocide de Gatwaro à Kibuye, dans l'ouest du Rwanda, le 3 décembre 2020   -  
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SIMON WOHLFAHRT/AFP or licensors

France

Combat contre le négationnisme ou combat pour la vérité historique, ces deux notions se sont entrechoquées au procès de la journaliste Natacha Polony, jugée mardi et mercredi à Paris pour contestation du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, une première en France.

Depuis 2017, la loi française sur la liberté de la presse punit le fait de nier, minorer ou banaliser de façon outrancière tous les génocides reconnus par la France et pas seulement celui des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Natacha Polony est la première à comparaître devant la justice française pour "contestation de l'existence de crime contre l'humanité" sur le Rwanda. En cause, des propos tenus le 18 mars 2018 sur France Inter.

La directrice de la rédaction de l'hebdomadaire Marianne avait alors évoqué le génocide au Rwanda en estimant "nécessaire de regarder en face ce qui s'est passé à ce moment-là et qui n'a rien finalement d'une distinction entre des méchants et des gentils". Elle avait ajouté : "Malheureusement, on est typiquement dans le genre de cas où on avait des salauds face à d'autres salauds (...) il n'y avait pas d'un côté les gentils et de l'autre les méchants dans cette histoire."

Vif émoi

Des propos qui avaient suscité un vif émoi et poussé l'association de soutien aux victimes du génocide rwandais Ibuka à porter plainte avec constitution de partie civile. Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) et la Communauté rwandaise de France l'ont rejointe sur le banc des parties civiles.

Devant le tribunal correctionnel, la chroniqueuse a réfuté avoir contesté le génocide orchestré par le régime extrémiste hutu qui a fait plus de 800 000 morts, essentiellement des Tutsi, massacrés entre avril et juillet 1994. Elle dit au procès s'être retrouvée, lors de ce débat radiophonique de trois minutes, "dans l’impossibilité de dérouler ses idées" sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, objet de discussions passionnées pendant des décennies.

Les "salauds" ? Ce sont les responsables politiques, assure-t-elle à la barre. S'interroger sur les exactions du Front patriotique Rwandais (FPR, ex-rébellion tutsi, au pouvoir depuis 1994) et les "dérives de son régime" n'est pas minimiser le génocide, se défend-elle, mais contextualiser pour "comprendre l'aveuglement de la France" à l'époque.

Crimes contre l'humanité

Pour appuyer cette thèse, la défense cite comme témoin Carla del Ponte, ancienne procureure du Tribunal pénal international pour le Rwanda. "Je m'étonne qu'on soit ici à débattre devant un tribunal", déclare-t-elle par visioconférence. Quand Natacha Polony "dit que d'un côté il n'y a pas des mauvais et de l'autre les gentils, je ne peux que confirmer", dit la magistrate suisse. "Il n'y avait pas que le génocide des Tutsi, qui naturellement a été le plus grand des crimes au Rwanda, il y avait aussi (...) des crimes contre l'humanité perpétrés par les Tutsi".

L'histoire du Rwanda est "complexe", souligne quant à lui Johan Swinnen, ancien ambassadeur de la Belgique au Rwanda. Cité par la défense, il affirme qu'"il y a eu de l'injustice contre de l'injustice, on ne peut l'ignorer". "Nous ne jugeons pas les crimes commis par le FPR ! C'est encore la théorie du miroir qui brouille les frontières entre bourreaux et victimes", rétorque Me Rachel Lindon, conseil d'Ibuka, fustigeant les "anachronismes insidieux" de Natacha Polony.

Négationnisme

"Le négationnisme est consubstantiel au génocide", insiste l'avocate, reprenant les termes exposés la veille par l'historien Stéphane Audoin-Rousseau. Entendu comme témoin ce dernier avait expliqué que dans le cadre du Rwanda, "le négationnisme n'est pas frontal" mais passe "principalement par la thèse du double génocide qui consiste à dire : certes il y a eu un génocide de Tutsi au Rwanda mais il y en aurait aussi un commis par le FPR".

Aux yeux du ministère public, les propos de la chroniqueuse sont une "reprise de mots maladroits" qui ont fait l'objet d'"interprétations divergentes" mais dans lesquels "il n'y a aucun négationnisme (...)". Le jugement sera rendu le 20 mai.

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