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Podcast I La paix par la rupture du silence : trop, c'est trop

Podcast I La paix par la rupture du silence : trop, c'est trop
Dans la tête des hommes. Episode 19.   -  
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Libéria

Est-ce possible de guérir lorsqu'on est atteint de stress post-traumatique ? Briser le silence peut-il ramener une paix intérieure ?

Dans son livre, Sylvain Favière, ancien soldat et infirmier français, définit sa blessure comme le corps qui “n'oublie jamais ses maux. Il faut apprendre à vivre et à se souvenir parfois de ce douloureux souvenir et aller de l'avant”.

À leur retour de la guerre, de nombreux soldats, comme Sylvain, souffrent d'épisodes de stress post-traumatique.

Maud Salomé Ekilla journaliste et réalisatrice, travaille, elle, aux côtés du prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, en République démocratique du Congo auprès des populations civiles qui subissent l'impact des conflits, notamment les viols.

Tous deux affirment que pour guérir les blessures invisibles de la guerre, il faut briser le silence et apprendre à vivre avec ces douleurs.

Dans ce nouvel épisode de Dans La Tête Des Hommes, nous discutons avec ces deux invités sur la manière d'identifier et de guérir les blessures invisibles de la guerre.

Vous avez aimé cet épisode ? Partagez vos réflexions sur la façon dont vous avez remis en question votre vision de ce que signifie être un homme en utilisant le hashtag #DansLaTêteDesHommes. Si vous êtes anglophone, ce podcast est également disponible en anglais : Cry Like A Boy.

N'hésitez pas à écouter et à vous abonner au podcast sur euronews.com ou Castbox, Spotify, Apple, Google, Deezer, et à nous donner un avis.

LES SOLDATS DU LIBERIA : LA PAROLE LIBEREE

Arwa Barkallah : Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de Dans la Tête des Hommes. Je m'appelle Arwa Barkallah et dans cet épisode, nous allons débattre du documentaire audio que vous venez d'écouter sur les blessures invisibles de la guerre du Liberia.

Comment la masculinité toxique a-t-elle contribué à ravager le pays entré en conflit entre 1989 et 2003 ? Pour ce faire, je reçois la journaliste reporter et réalisatrice de République démocratique du Congo, Maud Salomé Ekila, basée à Kinshasa. Elle est aujourd'hui en direct de Bukavu et chargée de communication pour le prix Nobel de la paix 2018, le docteur Denis Mukwege. Ses activités se concentrent sur la lutte contre les violences sexuelles en zone de conflit, l'impunité et l'injustice sociale en RDC.

Je reçois aussi l'ancien militaire français Sylvain Favière, auteur de “Ma blessure de guerre invisible”. Sylvain Favière était en service depuis 14 ans et en mission en Afghanistan lorsqu'il a réalisé qu'il était, lui aussi, blessé de guerre, mais au niveau psychique et psychologique. Il définit ainsi sa blessure dans son livre : "le corps n'oubliera jamais ses maux, il faut apprendre à vivre avec ce souvenir parfois douloureux et aller de l'avant, toujours".

Arwa Barkallah : Sylvain, vous définissez votre blessure dans votre livre, comme le corps qui “n'oublie jamais ses maux. Il faut apprendre à vivre et à se souvenir parfois de ce douloureux souvenir et aller de l'avant”. Il n'est pas rare que les soldats revenant de la guerre souffrent d'épisodes de stress post-traumatique. Ce constat est documenté dans diverses cultures et enregistré depuis la Première Guerre mondiale. Sylvain, la première question s'adresse à vous. Comment avez-vous réalisé que vous souffriez d'un stress post-traumatique lié à votre expérience en zone de conflit ?

Sylvain Favière : En fait, très rapidement après le retour de ma dernière mission en Afghanistan, j'ai eu quelques symptômes qui étaient notamment l'hyper-irritabilité et l'hypersensibilité qui se manifestait par des larmoiements. C'est mon épouse qui, à l'époque, a tiré la sonnette d'alarme pour dire : “Quelque chose ne va pas en toi”.

Arwa Barkallah : D'accord. Et ça, c'était en quelle année ?

Sylvain Favière : C'était en 2008, dans le mois qui a suivi mon retour de mission.

Arwa Barkallah : En tant que militaire, est ce qu'on vous avait préparé à ce genre de blessure ?

Sylvain Favière : Oui, de deux manières. D’abord, le colonel qui commandait mon détachement nous avait tous prévenus en nous disant : “Attention au retour. Pour certains, ça risque d'être peut-être difficile psychologiquement”. D'autre part, en ma qualité d'infirmier des armées, j’informais les soldats qui partaient sur tout type de mission des risques d'un stress post-traumatique.

Arwa Barkallah : Est-ce que malgré toutes ces préventions, il vous est arrivé de constater qu'il y a toujours une exception ? Il y a toujours quelque chose de plus violent ? Est-ce que chaque individu a son syndrome post-traumatique ?

Sylvain Favière : Il y a comme plusieurs degrés de stress post-traumatique. Les individus sont constitués de manière différente. Pour certains, les symptômes vont être plus ou moins importants. Et il y en a pour qui la détresse ou la souffrance psychologique est plus marquée que pour d'autres. Pour ma part, j'estime avoir eu une souffrance assez modérée et du coup, c'est comme ça que j'ai pu, entre guillemets, apprivoiser cette blessure psychologique.

Arwa Barkallah : Je me tourne vers Maud Salomé Ekilla. À quoi ressemble la blessure de guerre invisible pour la société civile cette fois-ci ? Puisque vous êtes plus proche de la société civile que des soldats ? Quels sont les épisodes de stress post-traumatique que vous avez rencontrés dans ces zones de conflit ?

Maud Salome Ekilla : Alors, moi particulièrement, je vais pouvoir m'exprimer par rapport aux survivantes de violences sexuelles et aux survivants d'ailleurs, puisqu'il y a beaucoup d'hommes aussi qui ont vécu ce viol utilisé comme arme de guerre. Et il est vrai que ce sont des blessures qui sont effectivement physiques, qui sont visibles. Et puis, il y a toutes les blessures derrière qui vont poursuivre la personne toute sa vie. Et c'est vrai que notre prise en charge, ici à l'hôpital de Panzi, avec la Fondation Panzi, est une prise en charge qui est forcément globale parce qu'on se rend bien compte que ça ne va pas suffire de soigner des blessures qui vont être uniquement physiques parce qu’il s’agit de viols d’une extrême violence. C'est une arme de guerre qui est vraiment utilisée pour détruire parfois l'appareil génital féminin, pour détruire physiquement et mentalement la personne. Il y a des personnes qui sont violées partout, dans toutes les classes sociales, dans tous les pays du monde. Mais dans ce viol avec une extrême violence, on sent comme une volonté assez particulière de détruire, d'humilier. Et en plus, ça se passe devant les membres de la famille. Je réponds à cette question. C'est cette blessure invisible. Elle perdure dans le temps. Elle doit être prise en charge et ne jamais être oubliée, évidemment. Nous accordons une attention toute particulière à ce travail de mémoire.

Arwa Barkallah : Alors, je vais revenir justement sur ce que vous aviez dit concernant la libération de la parole. Sylvain, on sait que l'armée est majoritairement occupée par des hommes, mais ça, c'est quelque chose qui inclut en fait toutes les armées du monde. Comment cette culture qui implique de toujours devoir mettre de côté ses émotions, ses faiblesses, peut porter atteinte au bon fonctionnement ? Comment est-ce que ça peut rendre difficile l'ouverture de la parole quand on souffre de stress post-traumatique ?

Sylvain Favière : Le milieu militaire, je pense dans toutes les armées du monde, est un milieu assez machiste. Nous sommes des hommes, mais on ne doit pas faillir. On ne doit pas montrer nos faiblesses. Encore plus quand on est soldat et qu'on commande, ou non, des hommes. Il faut se montrer fort. La parole s'est libérée un peu autour de ce sujet. Les Américains sont les premiers à l’avoir fait au retour de la guerre du Vietnam. En France, ce n'était pas encore très démocratisé et j’ai un peu aidé à faire bouger les choses avec notamment la sortie de mon livre, mon témoignage, et en faisant quelques plateaux télé parce que très vite, j'ai été sollicité par des journalistes pour parler de ce grand mal qui touche notamment les soldats français, parce que c'est ce qui m'intéresse.

Arwa Barkallah : Est-ce qu'en fonction du genre, par exemple, les femmes sont plus à même de parler de ça en tant qu'infirmière ? Je vous interroge en tant qu'infirmier. Les femmes sont-elles plus ouvertes à discuter de ça ?

Sylvain Favière : C'est un trouble très individuel. Il y en a qui vont parler très, très tard. L'Armée française a mis beaucoup de choses en place. Il y a des psychologues dans les unités très proches des sas de décompression. Mais ça reste très individuel. Il y a plus d'hommes que de femmes dans l'armée. Les combattants hommes, au contact, sont aussi plus nombreux que les femmes. Du coup, il y a plus d'hommes qui se manifestent. Mais les femmes qui sont ou qui seraient touchées par ça, n'en parleraient pas forcément mieux.

Arwa Barkallah : Ou alors elles ne s'adressent peut-être pas à l'ancienne institution…

Sylvain Favière : Non. Je crois que l'institution est très ouverte à ça maintenant. Après, il y en a qui font le choix de la voie civile. J'en ai connu dans les premières déclarations. En tout cas, il y en a quelques-uns qui n'osaient pas. Mais maintenant, tout cela s’est démocratisé. Et puis on est dans un monde moderne. On arrive quand même un peu plus facilement à parler des choses compliquées.

Arwa Barkallah : Alors moi, je reviens vers vous. Je voudrais savoir comment la société civile, dans les zones de guerre, prend en charge cette ouverture de la parole ? Je sais que vous avez parfois des groupes de parole qui sont organisés autour des structures de la Fondation Mukwege.

Maud Salomé Ekilla : Oui, tout à fait. On a différents modes de thérapies qui sont mis en place, comme une société qui grandit beaucoup avec la musique, avec la danse, avec l'art comme moyen d'expression de tous les jours. On a développé vraiment assez fort justement, cette thérapie par la danse, la danse-thérapie, la musicothérapie. Et donc, il est vrai que ce sont des programmes où l’on se rend compte. Certaines femmes sont très refermées sur elles-mêmes. Et puis dès qu'elles arrivent à danser, dans ces thérapies par la danse, par exemple, elles laissent leur corps s'exprimer. Et à un moment donné, comme le bouchon de champagne qui explose, il y a toutes ces émotions qui sortent d'un seul coup.

Par exemple, avec la musicothérapie, on met en place des programmes ; on leur propose d'écrire des paroles de chansons, etc. On leur propose aussi de la musique derrière et elles vont vraiment enregistrer en studio professionnel. On enregistre en fait des albums de musique. Ces femmes s'expriment comme elles le veulent. Ça peut être juste un mot qu'elles répètent, ça peut être des phrases, des poèmes. Ça va un peu dans tous les sens. En tout cas, on laisse vraiment les personnes s'exprimer. Les résultats sont là et ils sont assez incroyables. La danse-thérapie, c'est la même chose. C'est vraiment tout ce rapport au corps, le faire bouger, etc. Même par rapport au traumatisme qui était vécu, par rapport à une thérapie comme on peut en trouver en Occident. Les résultats sont assez incroyables et ça, je pense que c'est important de pouvoir aussi proposer des solutions qui sont adaptées.

Le viol est ou a été utilisé comme arme de guerre dans le monde entier ; en Colombie, au Kosovo, au Bangladesh, par exemple. Il y a vraiment beaucoup de pays qui ont une histoire avec le viol utilisé comme arme de guerre. Mais je crois que quand on veut soigner le traumatisme, quand on veut le prendre en charge, il faut vraiment tenir compte des spécificités aussi culturelles. Je voudrais revenir sur ce que Sylvain disait tout à l'heure concernant cette libération de la parole, qui est arrivée après la guerre du Vietnam aux Etats-Unis et peut-être un petit peu après en France. Ce que je tiens à dire, c'est que nous, avec la colonisation et ses différents cycles sur le continent, on a eu vraiment une rupture avec un mode de fonctionnement qui nous était propre, avec nos sociétés africaines. La libération de la parole chez les Bantous, par exemple, c'est extrêmement important et on a eu une rupture avec ça puisque tous nos codes ont été complètement détruits et parfois inversés, totalement inversés avec le patriarcat, etc.

Regardons le mode de fonctionnement des sociétés bantoues en particulier, je vais parler de ça parce que c'est ce qui concerne la région dans laquelle je suis. Bien sûr, nous n’avions pas le calendrier grégorien, mais plusieurs fois par an, les gens se réunissaient sur la place publique pour parler ensemble de tous les maux dont ils avaient été victimes pendant l'année écoulée. Ça pouvait être le viol, l'inceste, les meurtres, etc. Et c'était très important que toute la communauté puisse se “réparer” ensemble, puisqu'il faut toujours des réparations, certes individuelles, mais surtout collectives ; surtout quand on parle des viols qui ont un impact direct sur la famille, sur la communauté, etc. C'était vraiment très important de pouvoir exprimer ces maux en public devant la communauté pour s'excuser, pour passer à autre chose, pour tourner vraiment une page. Et je crois que toutes ces façons de faire ont été complètement annihilées. En fait, chez nous, avec l'arrivée du patriarcat, du christianisme, etc. La parole a été un peu muselée. Le silence a pris toute la place et les secrets de famille ont commencé à devenir habituels. On n'a plus cette habitude de dire la vérité. On n'a plus cette habitude de dire ces choses qui nous ont blessés, qui ont détruit notre vie. Or, c'est primordial.

Arwa Barkallah : C'est la fin de cette première partie du débat.

CREDITS:

Vous écoutez Dans La Tête des Hommes. Si vous ne connaissez pas encore ce podcast, je vous invite à découvrir nos épisodes sur les maris qui ont racheté leur honneur au Burundi ; le dilemme des homosexuels au Sénégal ; les enfants traumatisés du Lesotho ou encore les héros déchus du Liberia. Tous les hommes en Afrique se battent contre le carcan des règles strictes et les stéréotypes de genre. Venez faire un tour sur notre site pour découvrir nos autres contenus originaux, nos vidéos et tribunes.

Rendez-vous dans 15 jours pour la deuxième partie de ce débat.

Production :

Arwa Barkallah à Dakar, Sénégal.

Marta Rodriguez Martinez, Naira Davlashyan et Lillo Montalto Monella à Lyon, France.

Lory Martinez à Paris, France.

Clizia Sala à Londres, Royaume-Uni.

Conception de la production : Studio Ochenta.

Thème musical : Gabriel Dalmasso.

Rédacteur en chef : Yasir Khan.

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Ce programme est financé par le European Journalism Centre, dans le cadre du programme European Development Journalism Grants avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates.

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