Cameroun
“Gestion calamiteuse”, absence de “rigueur”, “maladresses” : les mesures pour lutter contre le coronavirus au Cameroun déclenchent des avalanches de critiques dans un des pays les plus affectés par la pandémie en Afrique subsaharienne.
Fermeture tardive des frontières, absence de période de confinement, bars, restaurants et discothèques restés ouverts, masques imposés tardivement, réouverture prématurée des écoles et universités… Yaoundé a semblé temporiser puis naviguer à vue, laissant penser que le pouvoir ne prenait pas au sérieux la dangerosité du Covid-19 quand bien d’autres pays africains imposaient très tôt des mesures radicales.
D’ailleurs, l’indéboulonnable chef de l’Etat, Paul Biya, au pouvoir depuis près de quatre décennies, n’est apparu publiquement à la télévision que le 19 mai, pressé par l’opposition et même l’OMS après plus de deux mois d’un silence assourdissant quand tous ses pairs africains prenaient très tôt, publiquement au moins, le flambeau de la lutte contre le virus.
En moins de trois mois, le nombre de cas est passé de 1 à plus de 6.500 officiellement début juin, pour plus de 200 décès, sur une population de plus de 25 millions d’habitants.
“La risée du monde”
“Nous avons une progression de l‘épidémie particulièrement importante, c’est extrêmement grave”, s’alarmait le 24 mai à la télévision d’Etat le professeur Eugène Sobngwi, vice-président du conseil scientifique au ministère de la Santé, brandissant le risque que le Cameroun devienne “la risée du monde”.
Les bilans “ne doivent pas nous alarmer parce que, jusqu‘à présent, le gouvernement maîtrise la situation”, rétorquait le 1er juin Manaouda Malachie, le ministre de la Santé, à la radio d’Etat, en réponse aussi à d’innombrables inquiétudes et critiques sur les réseaux sociaux.
Cette progression est le résultat d’une “gestion calamiteuse” de la pandémie par le gouvernement, accuse pourtant Albert Ze, économiste camerounais spécialisé dans la santé, ajoutant pour l’AFP : “Nous avons raté l’opportunité de contenir ce virus dès le départ”.
Le Cameroun n’a ainsi fermé ses frontières terrestres, aériennes et maritimes que le 18 mars, 12 jours après le premier cas “importé” et des semaines après nombre d’autres pays africains. Et limité le nombre de personnes autorisées dans les rassemblement à 50 quand d’autres le fixaient à 10.
Il a fallu attendre mi-mars aussi pour d’autres mesures de restriction comme la distanciation dans les transports publics et la fermeture des bars et restaurants, mais seulement après 18h00…
A ce jour, aucun confinement général n’a été imposé, comme dans d’innombrables pays à travers le continent et le monde.
L’impact de ces mesures avait pourtant été “immédiat, et les Camerounais avaient compris que le problème était majeur”, commente le professeur Yap Boum II, épidémiologiste et responsable d’un centre de recherche de Médecins Sans Frontière (MSF) à Yaoundé.
“Le port obligatoire du masque est venu renforcer cette démarche”, mais plus d’un mois après le début de l‘épidémie, selon lui. Bien qu’en progression, la propagation du virus était alors “contrôlée”, poursuit l‘épidémiologiste.
Discothèques ouvertes
Jusqu’au 30 avril, date à laquelle le gouvernement a, contre toute attente, assoupli ces restrictions, déplore le Pr Boum: bars, restaurants et discothèques ont pu rouvrir après 18h00 et les mesures de distanciation dans les transports publics ont été allégées.
Cela “a entraîné un relâchement quasi-total de la population, comme si cette annonce sonnait la fin de l’épidémie”, se lamente le scientifique.
“On voyait de moins en moins de personnes avec des masques et de plus en plus de personnes dans les bars, et un mois plus tard, nous en sommes à plus du triple” de cas déclarés et de décès, constate-il, en établissant un “lien direct entre ce relâchement des mesures, l’indiscipline qui a suivi et la situation actuelle”.
Contre toute attente aussi, le gouvernement a rouvert les portes des écoles, collèges, lycées et universités le 1er juin alors qu’il anticipe le pic de l‘épidémie “courant juin”. Une reprise prématurée en l’absence d’accompagnement, jugent les syndicats d’enseignants.
“L’Etat a mis à disposition un nombre ridiculement bas de matériels, 3.000 masques par exemple”, même pas un par enseignant dans les lycées et collèges, déplore Roger Kaffo, secrétaire général du Syndicat national autonome de l’enseignement secondaire (SNAES).
“Nous ne pouvons pas nous permettre d’arrêter nos pays, aux économies fragiles, comme dans les autres”, justifie Daniel Claude Abate, président d’un groupement local de PME et militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir.
“Mais, il aurait fallu qu’elle s’accompagne de mesures de police de surveillance”, reconnaît-il, concédant “quelques erreurs”, “négligences” et “maladresses”.
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