Sénégal
Croissance soutenue, infrastructures poussant comme des champignons, rente pétrolière attendue à partir de 2021 : le Sénégal est engagé sur la voie de l‘émergence, assure le président Macky Sall, mais ses adversaires dénoncent un endettement croissant et des indicateurs mirobolants.
Quand ses concurrents à l‘élection du 24 février, comme l’ex-Premier ministre Idrissa Seck, martèlent que “sa vision s’arrête à Diamniadio”, en référence à la ville nouvelle bâtie à 32 km de la capitale, vitrine de son Plan Sénégal émergent (PSE) lancé en 2014, il les accuse d’aveuglement délibéré.
“C’est peut-être parce qu’ils ne sont pas allés en Casamance (sud) ou qu’ils ferment les yeux quand ils empruntent l’autoroute à péage” desservant le nouvel aéroport inauguré en décembre 2017, a ironisé Macky Sall lors d’un meeting de campagne cette semaine.
“Qu’est-ce qui émerge donc?”, s’interroge pourtant Serigne Fallou Fall, un habitant de Dakar, déplorant une encore trop grande centralisation du pays: “Même un bout de papier, il faut venir le chercher à Dakar”.
Bien qu’il reste classé parmi les 25 plus pauvres au monde, “le Sénégal est sur le train de l‘émergence”, avec plus de 6 % de croissance annuelle depuis 2015, affirme à l’AFP l‘économiste Youssou Diallo, président du cercle de réflexion “Club Sénégal Emergent”, proche du pouvoir.
Pour la deuxième phase du PSE (2019-2023), le pays a obtenu en décembre à Paris des engagements des bailleurs de 14 milliards de dollars.
“On a utilisé l’investissement public pour faire l’amorçage. Il faut que le secteur privé national et international supplée et renforce les investissements publics”, explique M. Diallo.
Dans une étude de plus de 420 pages publiée en 2018, des économistes du Fonds monétaire international (FMI) concluent que “l’objectif du Sénégal de devenir une économie de marché émergente à revenu moyen supérieur d’ici 2035 est réalisable”, à condition d’engager de très profondes réformes structurelles.
Ils jugent en revanche “improbable” d’y parvenir en s’appuyant “principalement sur un investissement public accru, car le maintien d’une croissance élevée exige aussi un investissement privé soutenu, y compris par l’investissement direct étranger”.
“Emprunt public inévitable”
Mais le secteur privé sénégalais dit manquer de capital financier pour rivaliser avec les multinationales.
“Le privé national ne réalise pas les grands marchés de l’Etat, généralement confiés aux entreprises étrangères”, regrette Babacar Diop, membre de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES), une des deux organisations patronales, appelant à l’instauration d’une “préférence nationale”.
En outre, “l’Etat doit au privé national de l’argent et lui réclame en même temps l’impôt”, d’où selon lui des faillites d’entreprises ou l’arrêt, faute de crédits, des rares travaux qui leur sont confiés.
L’opposition reproche également au chef de l’Etat d’aggraver l’endettement du pays par ces coûteux projets.
À la question de savoir ce qu’il ferait avec l’argent promis pour la deuxième phase du PSE, un autre candidat, l’ancien inspecteur des impôts Ousmane Sonko a répondu de manière expéditive: “Si je suis élu, son Plan Sénégal endettement, je le mets à la poubelle”.
Un membre du parti d’Idrissa Seck, Cheikh Moussa Camara, regrette pour sa part les montants investis dans des projets dispendieux, comme le Train express régional (TER) reliant Dakar à Diamniadio, d’un coût estimé à près d’un milliard d’euros.
Selon lui, “il y a des problèmes de priorisation par rapport aux préoccupations des Sénégalais”, en matière d’approvisionnement en eau, en électricité ou de services d‘éducation et de santé.
Si dans leur rapport, les experts du FMI considèrent que pour financer des plans aussi ambitieux, “l’emprunt public est inévitable”, ils soulignent la nécessité de contrôler le niveau d’endettement de l’Etat.
En revanche, non seulement les opposants, comme Abdoul Mbaye, premier chef de gouvernement de M. Sall, pour qui afin de “justifier une soi-disant émergence économique”, le pouvoir “fabrique” des taux de croissance irréalistes, mais aussi les spécialistes, doutent fortement des retombées attendues de la production d’hydrocarbures à partir de 2021-2022.
“On devrait avoir une croissance à deux chiffres à partir de 2022 avec l’exploitation du pétrole, qui peut générer cinq points de plus”, indique l‘économiste-statisticien Moubarack Lô, conseiller spécial à la Primature, tablant sur des revenus annuels de l’exploitation des gisements de pétrole et de gaz naturel de l’ordre d’un milliard de dollars pendant 30 ans.
Les experts pointent au contraire la volatilité du prix du brut. Selon un document de travail examiné lors d’une réunion à Dakar fin janvier, cette hypothèse optimiste d’un milliard de dollars par an “ne se produirait pas avant la fin des années 2020 et ne représenterait de toute façon qu’un pic” de courte durée.
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