Le Sénégal est encore sous le choc de la tuerie en Casamance, qui a fait 13 morts samedi dernier, dans une forêt. La piste du trafic de bois dans un Sénégal semi-désertique est pointée du doigt par certains. En effet, le bois cristallise les attentions au pays de Macky Sall. Tentative d’explications.
A regarder les faits de plus près, l’on pourrait conclure à un règlement de comptes opposant des villageois à des exploitants clandestins de la forêt classée de Toubacouta. En tout cas, selon les témoignages qui ne manquent pas sur place.
Les jeunes gens de Toubacouta ont la lourde et délicate charge de la surveillance de la forêt classée de leur village et sont regroupés au sein d’un comité de vigilance. Comité qui, entre autres, procède au recouvrement de taxes sur chaque arbre abattu.
L’un des survivants de la tuerie de samedi (qui, pour des raisons évidentes de sécurité n’a pas dit son nom) témoigne : « les membres de ce comité sont, eux aussi, des exploitants clandestins comme nous. Ce sont eux qui nous vendent des troncs et, depuis plus de 20 ans, tout le monde est au courant. Nous payons 10 000 francs CFA (environ 16 euros) pour la patente et 2 500 francs CFA (environ 4 euros) pour la caisse du village. Cela fait 20 ans que cela dure. Mais depuis que nous avons compris que la forêt nous appartient tous, nous avons refusé de payer les taxes. Voilà la cause du malentendu… »
Règlement de comptes sur fond de désaccord financier au relent d’antécédents
L’argent serait donc le motif de ce massacre digne de l‘époque moyenâgeuse. Une question trottine tout de même dans les esprits ; mais où passe donc l’argent de cette fameuse collecte ? Autre question ; les agents des Eaux et forêts ont-ils eu vent de l’existance de collecte ?
Notre rescapé est catégorique quant à la réponse à cette dernière question : « ils sont bel et bien au courant ! Tous les chefs sont informés. Mais ils nous disent que les papiers délivrés par le comité n’ont de valeur que dans la forêt. »
Pour rappel, des membres du comité avaient déjà eu un accrochage en octobre dernier avec des exploitants forestiers. L’affaire portée devant la justice, raison avait été donnée aux exploitants et, coup de massue, quatre jeunes gens du comité avaient été mis aux arrêts et jetés derrière les barreaux.
Plus tard, le problème connaissait un règlement à l’amiable, mais ses cicatrices sont restés indélébiles. Il y a-t-il un lien entre le choc d’octobre et le massacre de samedi dernier ? Personne ne saurait le dire avec exactitude. En attendant, la gendarmerie mène son enquête.
Concernant les circonstances de la mort des 13 jeunes gens, le ministre sénégalais de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, confirme ce que révélaient certains témoignages. Les victimes étaient en train de ramasser du bois dans la forêt de Bofa Bayotte, lorsque le drame leur est tombé dessus.
Les forêts classées, source de convoitises et de violences en Casamance
Que dire de cette forêt de Bofa Bayotte ? Elle fait partie des forêts classées, protégées de la région de la Casamance, la seule (région) véritablement forestière du Sénégal, pays semi-désertique. Et ces forêts protégées sont aussi convoitées que des mines d’or ou de diamant, particulièrement dans un pays où les forêts sont une denrée rare.
A ce propos, Haïdar el-Ali, ancien ministre de l’Environnement et président de l’association Océanium (installée à Ziguinchor), affirme que « la forêt, c’est une ressource importante. (…) Avant, elle était partout, elle était luxuriante. »
Et, comme nous le savons tous, la rareté entraîne convoitise et violence. Ces forêts devenues rares aujourd’hui, les tensions se font de plus présentes. Haïdar el-Ali : « on coupe de plus en plus, on pille, on saccage, et la forêt recule donc ça crée des conflits pour l’accès à cette ressource. Aujourd’hui, il y a des gens qui en ont un peu marre de tout ça et qui prennent les armes. Ce n’est sûrement pas la solution, mais ça fait longtemps que ça dure. »
L’ex-ministre déplore la persistance des violences dans la région, qui avait déjà connu une rébellion indépendantiste dirigée à l‘époque par feu l’abbé Augustin Diamacoune Senghor.
« Il y a un mois, il y a un camion chargé de bois d’exploitants frauduleux qui a été brûlé. Avant, des défenseurs de l’environnement ont été attaqués. Je connais un chef de village qui défendait sa zone et qui a été tué. Je connais des jeunes qui défendaient leur zone et qui sont à l’hôpital… » , ajoute monsieur el-Ali.
Le processus de paix en Casamance ne serait pas menacé
Le trafic de bois est une affaire pratiquée par de nombreux jeunes de la région, si l’on en croit les propos d’Ibrahima Gassama, journaliste et directeur de la radio Zig FM. Il ajoute que les zones les plus affectées par ce trafic sont celles qui sont situées aux frontières du Sénégal avec la Gambie et la Guinée-Bissau.
« Le gouvernement a voté une loi criminalisant un peu ces pratiques, mais on a beau vouloir sécuriser (les frontières) l’armée ne peut pas être à chaque centimètre de la frontière. » , déplore le journaliste.
Pour sa part, Aly Ngouille Ndiaye promet une chasse à l’homme « rude et sans répit », afin de mettre le grappin sur les tueurs de samedi dernier. A propos du processus de paix engagé entre le gouvernement et les séparatistes casamançais, le ministre de l’Intérieur s’empresse de préciser que la tuerie de samedi dernier n’affecte en rien les efforts de négociations qui prévalent entre les deux parties prenantes.
Nous reviendrons sur cette affaire, dès que nous aurons de nouvelles informations.