Afrique
C’est le premier dirigeant français à franchir le Rubicon sur un sujet jusqu’ici tabou : la rétrocession à l’Afrique de son héritage culturel et artistique. Emmanuel Macron fait de cette restitution l’une de « ses » priorités. Quitte à plonger tout un continent dans l’espoir.
“Le patrimoine africain (…) doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou”, a déclaré le président français, à la fin de son discours tenu à Ouagadougou, dans le cadre de sa tournée africaine du 28 au novembre dernier au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Ghana. Et d’ajouter : « Ce sera l’une de mes priorités. D’ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique ».
Des mots qui redonnent de l’espoir au Bénin, après des mois de tractations symbolisées par la demande formulée officiellement en juillet 2016 par le président béninois Patrice Talon.
Pour le président Talon, qui a notamment fait campagne contre l’influence de la France dans son ancienne colonie, le rapatriement de ces œuvres permettra de “mieux faire connaître à nos populations la valeur de nos biens culturels et historiques” et “faire du tourisme un pilier majeur de l’économie béninoise”.
Irénée Zevounou, l’ambassadeur de la délégation du Bénin à l’UNESCO, estime que “4.500 à 6.000 objets (béninois) sont en France, y compris dans des collections privées”.
L’accaparement des trésors du Royaume du Dahomey s’est fait lors des batailles coloniales entre 1892 et 1894, mais aussi par les missionnaires qui ont “dépossédé les populations de ce qu’ils considéraient comme des fétiches”, explique M. Zevounou.
‘Historique’
“C’est la première fois qu’un président français aborde le sujet frontalement et fait part de sa volonté d’aller dans le sens de la restitution”, écrivait aussitôt Marie-Cecile Zinsou, créatrice de la Fondation Zinsou à Cotonou sur sa page Facebook. “Il se pourrait que le discours de Ouagadougou marque un tournant majeur dans la suite des procédures”, se réjouit cette amatrice d’art franco-béninoise.
De nombreux autres partisans d’un retour des oeuvres du royaume du Dahomey – trônes royaux, récades (sceptres royaux), portes sacrées du Palais d’Abomey, statues anthropomorphes… – se sont exprimés depuis, comme Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN).
Dans une tribune publiée dans la presse, le président du CRAN se félicite d’une “rupture historique” dans le débat, et propose que le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies participe aux négociations entre les deux pays : “il s’agit d’une question de culture, mais aussi d’un enjeu de droit”.
Le droit, c’est bien ce qui bloque dans ce dossier épineux et particulièrement sensible.
Les autorités françaises s‘étaient jusqu‘à présent rangé derrière “les principes juridiques d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité (…) des collections publiques”, pour argumenter leur refus de restituer des oeuvres, désormais tombées dans le patrimoine français.
Pour Yves-Bernard Debie, avocat spécialisé en droit du commerce de l’art, le discours “tranché” d’Emmanuel Macron rompt avec la tradition juridique française établie en 1566 par “l‘édit de Moulins”. “Depuis cette époque, le domaine royal devenu ensuite le domaine public, est inaliénable et imprescriptible. Il est interdit, sauf exceptions rares, au prince, roi ou président de la République, de disposer de ce domaine. Les chefs d’Etat passent, le domaine public reste ! “, explique l’avocat.
Une telle restitution demanderait donc de changer la loi française. “C’est peut-être un peu naïf de ma part, mais j’espère que les relations s’améliorent entre le France et ses partenaires d’Afrique”, ose Ousmane Alédji, directeur du centre culturel béninois ARTISTTIK AFRICA. “Je préfère être aujourd’hui dans l’espérance du mieux”.
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